Chapitre 1

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🎵 Burning hour - Jadu Heart

Irina

Je sors de mon service avec la pluie. La soirée était longue comme toujours. Les clients étaient nombreux. Je pense pouvoir sentir l'odeur de leur cigarette qui a imprégné mes vêtements et mes cheveux. Je vais encore finir trempée. Je tente de me couvrir avec mon sac à main, mais les gouttes redoublent d'intensité.

J'accélère ma marche, mes longs cheveux collés autour de mon visage. Je sens l'eau perler sur ma figure, certaines restent sur le bout de mon nez avant de tomber. Les gouttes sur le coin de mes yeux pourraient faire penser à un chagrin si fort qu'il ne peut plus s'arrêter. Mon visage est rougi par le froid, mon nez et mes joues deviennent sensibles. J'essaye de pousser mes mèches ébènes qui obstruent ma vision. Elles sont lourdes, remplies d'eau.

En levant les yeux, j'aperçois un éclair puis le grondement du tonnerre. L'intonation de ce dernier me fait sursauter. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours adoré la pluie. Mais l'orage, c'est autre chose, ce bruit soudain qui arrive quand on s'y attend le moins me fait peur. Il se rapproche. Le ciel est aussi noir que de l'encre. Les gouttes tombent sur le sol, on entend ce martèlement incessant sur le trottoir et la rue.

Malgré tout, ce bruit est apaisant, on croirait une musique. Les gouttes plus épaisses jouent des notes graves tandis que les plus fines des sons plus aigus. Une symphonie unique et éphémère. Je sens cette odeur propre à la pluie. J'hume un peu plus fort l'air et laisse entrer cette senteur dans mes narines. Les voitures éclaboussent le trottoir et je m'écarte plusieurs fois pour éviter de finir encore plus mouillée que je le suis déjà. Je les incendie dans ma tête de ne pas faire un minimum attention aux piétons. Mais je ne suis qu'une ombre, l'ombre de moi-même, l'ombre d'une personne qui avance, cachée sous mon grand manteau sombre. 

On associe souvent la pluie à la tristesse et à des sentiments très négatifs. Pour ma part ce temps colle bien avec mes pensées. Elles me tombent dessus sans que je ne puisse faire quoi que ce soit. Alors je les laisse aller, glisser, passer. Peut-être que la mélancolie de mon état se raccroche à cette ville. Voir même à ce pays en général. Il y a un mot qui défini plutôt bien ce cela. Toska. Une forme de mélancolie qui accompagne les russes au plus profond de notre être. Comme si c'était ancré en nous. C'est peut-être la toska qui me pousse à rester ici.

Je continue mon chemin machinalement, exténuée après cette journée au bar. Des passants marchent sous leur parapluie. Je les entends rire, un son qui ne m'est plus familier depuis longtemps. Je les vois, le sourire aux lèvres. Je me prends à imaginer quelle est leur vie, qui ils sont. L'homme à la grande moustache blanchie par l'âge pourrait être un enseignant. De philosophie. Le cliché. Il aimerait taquiner, faire des blagues et cuisiner. Un grand cuistot ! Les plats du monde entier n'auraient aucun secret pour lui.

Quant à la femme qui lui tient le bras en riant, elle serait fleuriste. Passionnée et d'une créativité sans limite. Elle connaîtrait toutes les fleurs tel un dictionnaire vivant, de la jonquille en passant par la tulipe ou même la camomille. Interrogez-la, questionnez-la sur n'importe quel bourgeon, cette fleuriste savante saura répondre. Jamais au grand jamais elle ne ferait de bouquet avec un nombre pair de fleurs. Oh non ! Un léger sourire m'échappe en pensant à cette croyance russe qui dit qu'ilne faut offrir un bouquet pair qu'en cas d'enterrement. Alors cette fleuriste ne dérogerait pas à la règle, que des bouquets impairs.

J'entends leurs rires s'éloigner avant que les seuls sons audibles autour de moi soient mes chaussures qui claquent dans les flaques d'eau, les voitures roulant bien trop vite, les gouttes d'eau musiciennes et mon souffle.

Je pense à la douche chaude que je vais pouvoir prendre en arrivant. L'eau pénétrant maintenant mes vêtements, je commence à grelotter. Mes épaules se contractent, je remets mon sac sur mon épaule et je plonge mes mains dans mes poches. Quelle idée de ne pas regarder la météo avant de partir, je me maudis. Je suis déjà trempée, mon parapluie de fortune ne m'a pas suffisamment protégé.

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