Chapitre 4

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🎵 Black out days - Phantogram

Irina

Voilà quelques jours que je regarde par-dessus mon épaule sans savoir ce qui pourrait bien m'arriver. Je m'affole au moindre bruit en tournant la tête dans tous les sens, cherchant ce qui est prêt à me tomber dessus. Parfois, j'ai cette étrange impression qu'on m'observe. Je crois sentir le regard ravageur de Roman sur ma peau. Je deviens définitivement paranoïaque.

Mon estomac est noué et cette sensation m'accompagne toute la journée.

Je tente de garder un semblant de vie normale ou plutôt similaire à mes habitudes. Je vais au travail et continue de servir des verres à des hommes déjà ivres. Roman et Vladimir ne sont pas revenus au bar. A chaque coin de rue, à chaque voiture croisée ou personnes dehors je m'attends à ce qu'on me tombe dessus. J'entends encore la voix de Roman "Tiens toi prête Irina, on arrive pour toi.".

De l'extérieur, on voit une femme cachée sous son manteau, son écharpe et son bonnet qui regarde dans tous les sens et respire fort. De l'intérieur, je bouillonne. Je sens mon alter-ego ramper le long de ma colonne vertébrale, je l'entends murmurer à mon oreille. Elle me demande de lui laisser la place, de la laisser gérer. Les crises dissociatives s'intensifient. Les moments de flottements se font plus fréquents. Cet autre moi tente de forcer le passage de ma barrière mentale, de prendre le pouvoir de mon corps, autant que de mon esprit. Mais je garde tant bien que mal le contrôle. Je lui refuse cette place, trop effrayée d'être moi-même. Trop impressionnée par ce que mon corps, mes mains et ma tête sont capables de faire lorsqu'elle entre sur le terrain. Pourtant, elle me serait d'une grande aide. Capable de gérer mes angoisses, mes craintes. Capable d'être plus forte. Je refuse. M'évertuant à vouloir rester la maitresse de ce corps, le plus longtemps possible. Je béni pourtant sa présence. Simplement, je refuse de me confronter à la réalité de qui je suis.

Mon dieu, Luka dans quoi tu nous as entraîné...

Je continue mon chemin jusqu'à arriver devant mon immeuble. Je croise la babouchka [1] de l'appartement en dessous du mien. Elle me regarde et son sourire est chaud, rassurant. Ses longs cheveux gris sont attachés dans un chignon bas serré. Elle a toujours cet air strict mais ses yeux bleus sont rieurs. Elle ressemble à la grand-mère dont rêvent tous les enfants. Une mamie qui cuisinerait de bonnes pâtisseries en attendant le retour de l'école de ses petits-enfants. Une mamie qui raconterait des histoires avant de border sa progéniture. Ses bisous seraient légèrement piquants, pas très agréables mais tellement réconfortants qu'on la laisserait faire encore et encore.

Des Sladkaya Kolbaska [2] sont souvent disposés dans une assiette sur la table de l'entrée. Babouchka, de son surnom affectueux donné par les voisins, en prépare fréquemment pour les habitants de l'immeuble. Lorsque l'hiver arrive, du thé ou du café chaud attendent que nous rentrions pour nous soulager du froid extérieur. Cette délicate attention réchauffe souvent mon cœur meurtri. Nous nous parlons peu. En réalité je n'adresse la parole que par nécessité. Cela n'empêche que je reçoive toujours un doux sourire de cette vieille dame. Je me demande parfois quelle aurait été ma vie si j'avais reçu la chaleur d'une grand-mère ne pouvant la recevoir de mes parents.

Une fois les escaliers montés je me dirige au fond du couloir mal éclairé pour trouver ma porte. Je cherche mes clés logées dans les poches de mon grand manteau. Mes doigts sont rougis par les températures plus froides. Je parviens à attraper mes clés, lorsque je les tourne dans le loquet rien ne se produit. Aucun son de déverrouillage. Je ne bouge plus, les clés dans la serrure. Je m'arrête de respirer et tente de me souvenir de mon départ. Non, j'ai fermé l'appartement, comme tous les jours. Mais comment est-il possible que le clic ne se soit pas produit ? Je retire doucement les clés avant de déposer ma main sur la poignée. Elle tourne doucement. Je n'entends pas Volya qui attend normalement derrière la porte.

Brutal | Dark romanceWhere stories live. Discover now