Chapitre 2 : Le quotidien des survivants

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Au petit matin, alors qu'il faisait encore nuit, Roxane se prépara un thé à la lumière de la bougie et à la chaleur de son calorifère. Elle en apportait une tasse à une vieille dame, frêle et chétive qui habitait dans l'appartement d'à côté. Elle s'appelait Anne, mais tout le monde l'appelait Mamie ou Grande-Ma. C'était elle qui avait recueilli Roxane et d'autres enfants orphelins. C'était elle qui lui avait appris à lire, écrire et surtout, à survivre. Aujourd'hui, c'était Roxane qui prenait soin d'elle.

Après la disparition de ses parents, la petite fille n'avait personne.

Roxane chassa ses mauvaises pensées de son esprit, déposa la tasse sur la table de chevet de la vieille femme. Un merci accompagné d'un sourire suffisait à la rendre heureuse. Anne se redressa, s'adossa à la tête de lit en bois, et but plusieurs gorgé de la boisson chaude. Roxane vint s'assoir à ses pieds.

- Alors, tu le vois quand? lui demanda la vieille femme avec un sourire.

- Qui ?

- Tu sais très bien de qui je veux parler... ricana-t-elle.

Roxane sourit.

- Normalement demain.

- Tu as l'air heureux avec lui.

- Je le suis, ajouta Roxane.

- Alors c'est le plus important. Je suis heureuse pour toi.

Anne caressa du revers de sa main la joue de la jeune fille.

- Je suis même très heureuse pour toi, et je suis également très fière de ma petite Roxane. Ta mère l'aurait été aussi.

Roxane détourna du regard. Anne se leva de son lit et prit un baril d'eau. Elle versa un peu du liquide précieux dans une casserole et le mit à chauffer.

- J'espère qu'il ramènera un peu plus d'eau la prochaine fois, le dernier passeur en avait ramené très peu... Et je crois qu'il manque quelques couvertures dans certains foyers.

- J'irai te chercher ce qu'il faut, ne t'en fait pas.

- Je ne dis pas ça que pour moi, mais aussi pour les autres. Je suis vieille et chétive, je n'ai plus beaucoup de temps à vivre, j'ai déjà un pied dans la tombe...

- Arrête Grande-Ma, dis pas des choses comme ça... Qu'est-ce que tu peux être pessimiste...

- Pessimiste ? Non, réaliste. Bon, vas donc prendre l'air au lieu de rester en intérieur. Profite de ta jeunesse et de tes jambes encore actives !

Roxane se leva et s'approcha d'Anne. Elle prit le visage de vieille femme entre ses paumes de main et lui embrassa le front. Roxane lui chuchota :

- Repose-toi, tu es encore fatigué.

*

En début d'après-midi, Roxane parti de dégourdir les jambes. Elle quitta son appartement qui faisait l'angle de la rue de l'Arrivée et l'avenue du Maine, et se dirigea vers le Cimetière du Montparnasse. Les stèles et les monuments funéraires étaient en ruines, ravagés par la puissance des flots, rongés par l'eau saline. Les plus solides, eux, étaient simplement endommager. La nécropole était parsemé de morceaux d'urnes et les columbariums servaient de refuge pour les quelques oiseaux de la Cité. Roxane regardait les quelques inscriptions encore visibles sur les tombes :

« David, mon frère que j'aime à la folie. »

« Pour celle que j'aime, Sibylle, ma femme. »

« Tu nous as quittés trop tôt, ma fille, June. Tu seras toujours dans notre cœur. »

« Léo, tu me manques tant. »

Le cénotaphe familial des Musset étaient encore bien solide. Roxane s'avait que ses parents n'y étaient pas, que leur corps avait péri avec ceux des autres disparus, mais pour la jeune fille, ce n'était qu'une symbolique, le fait qu'ils soient encore là.

Le soleil commençait à être plus intense et lui fit oublier ce léger vent hivernal. La température était agréable et Roxane décida de continuer sa promenade. Elle rejoint par les rues désertes le jardin du Luxembourg. Sa collection d'orchidées sauvages rayonnait à la luminosité, resplendissante de couleurs rosés, violetées et bleu turquin. Les sculptures et fontaines étaient abandonnés : le corps de L'Effort de Pierre Roche était perdu dans le feuillage - seul son visage était encore illuminé par le soleil - ; La Fontaine Médicis était vaseuse ; Le Marchand de masques était entièrement rouillé ; Minerve à la Chouette avait perdu son avant-bras droit. La Statue de la Liberté, elle, brandissait toujours haut son flambeau. La buvette des Marionnettes restaient ouvertes. Sous l'ombres des tonnelles, les tables et chaises vertes n'attendaient que Roxane. La jeune fille attendait les beaux jours pour passer ses après-midi à lire dans la pelouse ou près du bassin principal, en face de ce qui était le Sénat. Roxane rentra chez elle en début d'après-midi.

*

De son balcon, on pouvait admirer la Tour. Malgré la misère qui régnait dans la zone, elle aimait le nouveau Paris et était peu préoccupée de savoir à quoi il ressemblait auparavant. Chacun était heureux du peu qu'ils avaient. Les survivants ne s'attardaient pas sur le passé et ne vivaient que l'instant présent. Roxane était comme tous les autres, mais ce qui l'intriguait le plus, c'était jusqu'où menaient les tunnels de la gare qu'empruntent les passeurs. Les enfants sautillants sur les trottoirs humides se dirigeaient maintenant vers l'appartement d'Anne qui, leur racontait souvent des histoires et leur apprenait à lire, à écrire, à compter... Roxane connaissait toutes ses fables par cœur, mais celle qui l'avait le plus marquée, c'était l'histoire même de la vie d'Anne : Le fait que l'homme qu'elle aimait ait disparu une nuit, près de la Tour. Ce mystère n'a jamais été résolu et Anne l'attendait toujours.


LE MURMURE DE LA PLUIE | Science-FictionWhere stories live. Discover now