Chapitre 16 : La paire de ciseaux

201 27 3
                                    

Rosalind appuya machinalement plusieurs fois sur le bouton d'appel de l'ascenseur - comme s'il arriverait plus vite. Les portes s'ouvrirent, Rosalind monta.

- Bonjour Rosalind, débuta la voix robotique.

- Bonjour IAnaelle, répondit la rousse, étage Diderot s'il-te-plait.

Scanning... Autorisation Validée

Les portes se fermèrent.

- Il y a un problème, madame ? demanda la voix innocente. J'ai pu percevoir un rythme cardiaque anormalement élevé durant mon scan.

- S'il y a un problème, je ne le sais pas encore.

- J'espère en tout cas que tout se passe pour le mieux, ou que tout s'arrangera...

Quarante-deuxième étage, Diderot, suite royale.

Les portes s'ouvrirent.

- Bonne soirée, madame.

- Bonne soirée, IAnaelle.

Rosalind se hâta vers la chambre de son frère. Elle avait le pressentiment que quelque chose ne tournait pas rond.

*

Dans la salle, la musique ne s'était pas arrêtée et les gens dansaient toujours. Roxane et Léopold étaient seuls à table, face à face, tous les deux perdus.

- Rosalind a un certain flaire pour les problèmes, commença Léopold, et à mon avis, notre renarde a flairé quelque chose de mauvais...

Roxane ne savait plus quoi penser. Elle coupa Léopold et changea de sujet.

- Je dois sortir de la Tour.

- Pardon ?

- Oui, je dois sortir de la Tour. Les habitants de la Cité ont be-soin de moi. S'il y a une crue, il n'y aura personne pour l'annoncer.

- Attends un peu ma jolie, tu veux sortir de cette prison ? Laisse-moi rire.

- Et en plus... Jayce doit s'inquiéter...

- Jayce ? C'est qui lui ?

- Un passeur, un homme qui...

- Je sais ce qu'est un passeur, je ne suis pas né de la dernière pluie. Sache que tu ne sortiras pas.

Roxane baissa les yeux. Une femme s'approcha de la table. Elle était grande, mince, les cheveux courts et un magnifique vête-ment. Elle se démarquait des autres femmes par le fait qu'elle ne portait pas de robe.

- Bonsoir Léopold, dit-elle.

- Oh, bonsoir commandante Tyner !

- Le bleu te va à merveille mon cher !

- Vraiment ? Je t'avouerai que cela fait bien longtemps que je n'avais sorti ce foulard.

- C'est pareil pour ma robe, j'ai plutôt l'habitude de mon équipement.

La femme regarda Roxane.

- C'est elle, la nouvelle ?

- En chair et en os.

Elle salua Roxane de la tête.

- Enchantée mademoiselle... Musset ? Si je me souviens bien. Commandante Tyner, Evelynn Tyner, Berger du réseau militaire de la Tour Montparnasse.

Elle se retourna vers Léopold :

- Proudhon, demain, avec Rosa. Il faut que la petite voie ça.

- D'accord, rendez-vous demain alors.

- A demain.

Evelynn disparut dans la foule.

- Proudhon, Proudhon, Proudhon... répétait Roxane. Mais qu'est-ce que ça à avoir avec moi ?!

- Ne sois pas impatiente ma petite, déclara le vieil homme, de-main tu auras réponse à tes questions. Bon... Allons danser.

*

L'esplanade sur laquelle donnait l'ascenseur était arrondi. Le plafond était un dôme. Au centre de la pièce une statue domi-nait : une femme dont les formes de son corps étaient géomé-triques, parallélépipédiques, aux angles vifs, arrondis, à pans coupés, et pourtant très réaliste : une vraie déesse de bronze à la peau de pierre noire laissant la lumière dessiner les courbures d'un corps parfait. Aux pieds de la femme, des arbustes taillés et des roses arborant le tout ne laissant que le haut de ses mol-lets à l'air libre.

Plusieurs couloirs étaient accessibles depuis cette place, Rosalind prit celui qui était derrière la sculpture. Il menait vers la chambre de son frère.

Arrivée devant la porte double de sa chambre, au fond de ce couloir sombre, Rosalind souffla et fit le vide dans son esprit. Elle s'apprêtait à pousser les portes quand elle entendit son frère dialoguer. Mais à qui Néo pouvait-il bien parler ? Il semblait, par le son de sa voix, affaibli, malade.

- Laisse-moi ! Pars ! J'ai mal à la tête... Tu me donnes la migraine... Je ne veux pas... Je ne veux pas lui faire du mal, ce n'est pas dans mes attentions... Mais tu l'as bien vu, je l'ai sauvé ! Comme tu me l'avais demandé ! Non, non, non ! C'est faux ! ... Une paire de ciseaux ? Avec une paire de ciseaux ? Il faut... Il faut toutes les faire disparaître... Là, il y en a une paire ! Vite, vite, vite... Une cachette, n'importe laquelle...

Rosalind poussa la porte. Le jeune roux tournait en rond dans la pièce, une main sur le crâne, la seconde avec une paire de ci-seaux au bout des doigts. Il prit l'arme et brandit la lame des ciseaux vers Rosalind.

- Ne t'approche pas ! Criait-il. Ne t'approche pas, je ne veux pas te faire du mal !

- Néo ?! Mais qu'est-ce qui te prend ?! A qui tu parles ?

Il ne répondit pas. Il suffoquait dans sa respiration, aucun mot n'arrivait à sortir de sa bouche. Il était terrorisé. Il lâcha son arme puis se mit à genoux sur le tapis. Il enfonçait ses poignets dans le creux de ses yeux et criait sans cesse « Sors de ma tête ! Sors de ma tête... ». Rosalind s'approcha de lui, se mis à genoux devant son frère et l'enlaça dans ses bras.

- Je suis désolé Rosalind, pleurait son frère, je suis vraiment désolé...

*

A peine étaient-ils sur la piste de danse au centre de la salle qu'ils étaient déjà en place :

- Main droite dans main gauche, et main gauche sur épaule droite, chuchotaient-ils ensemble.

Ils commencèrent à tourner, à droite, puis à gauche, puis de nouveau à droite, à faire deux pas en arrière, puis un en avant... La danse se répétait sans cesse et les deux compagnons discutèrent sans même avoir le tournis :

- Sinon Roxane, comment s'est donc passé ces premiers jours dans la Tour ? Comment te sens-tu ?

- Mal à l'aise, répondit-elle, inutile, sans but, sans raison d'être... - elle fit une pose pour réfléchir - Anarchiste ? suggéra la jeune fille

Léopold sourit à l'entente de ce dernier mot. Il répliqua :

- C'est bien, tu commences à comprendre sans même qu'on ne te l'explique. Mais je vais approfondir : c'est toi qui va nous sortir de cette prison de verre.

- Moi ? l'interrogea Roxane. Et comment ?

- D'abord avec ton intelligence, ensuite grâce à tes origines, puis avec ton pouvoir, et enfin, avec une paire de ciseaux.

LE MURMURE DE LA PLUIE | Science-FictionWhere stories live. Discover now