Le cousin de Solange

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En descendant du train, je reconnus de nombreux élèves de Sainte Catherine ou de Saint Thomas d'Aquin, tous chargés de valises et de sacs de voyages remplis de linge sale à nouveau propre. On pouvait voir aux pieds de certains les derbies noires cirées de l'uniforme, et certains garçons portaient la cravate terre de Sienne et bleu cobalt de l'établissement par dessus des chemises aux couleurs variées.

Quand nous montâmes dans une des voitures du train, elle était presque exclusivement occupée par des adolescents de onze à dix-huit ans. Leurs têtes m'étaient toutes familières, j'étais sûre de les avoir déjà vus dans la cour, en classe, ou à la messe en semaine. Nous nous installâmes dans un carré de quatre. Emilie posa son sac de voyage sur la table, et ressortit ses cours de mathématiques :

« Il n'y avait pas de contrôle de maths ? m'inquiétai-je en ressortant mon ouvrage au point de croix.

– Non. Mais Wilhelm, mon frère, m'a dit que Pichard notait énormément à la tête, donc si je veux avoir quelques avantages par rapport à la classe, il vaut mieux que je sois au taquet sur les leçons.

– Et tu fais ça pour toutes les leçons ?

– Les maths. Parce que ça mène à tout...

– Je te ferais remarquer que le français est la seule matière à être utilisée dans toute les autres matières.

– Oui, mais Gardinier, elle n'en a rien à fiche du français. C'est plus intéressant de rentrer en compétition avec Philomène que avec quelqu'un qui est fort en français...toi ?

– Merci, je ne sais pas comment le prendre...

– "Madame, excusez-moi, je crois que vous m'avez compté un point en trop !" m'imita-t-elle en prenant une voix haut-perchée. Tu n'as pas l'esprit de compétition, Alex, c'est dingue. Ici, chaque point compte.

– On est en sixième, quand même ! »

Je coupai le fil vert que j'utilisais jusque-là. J'avais fini de broder toutes les feuilles, et je passai dans le chas de l'aiguille un fil d'un vert plus foncé, presque vert sapin, qui servirait à marquer les ombres.

 Philomène Gardinier était assise au premier rang, et avec ses deux tresses impeccables et son uniforme bien repassé donnait l'air d'être une petite intello en puissance. Et elle ne faisait rien pour démentir cette impression. Elle collectionnait les vingt sur vingt comme Ombeline collectionnait les articles qui parlaient de la conquête spatiale. Emilie, dont l'esprit de compétition et de performance avait déjà été bien formaté par la pratique intensive de la course à pied, s'était lancée à corps perdu dans une course à la note contre Philomène dans les matières scientifiques. Même si j'avais de bons résultats dans ces matières à l'école, je n'avais pas envie de me dresser contre mon amie.

Au moment, ou le train commençait à s'ébranler, Philippe s'affala sur le siège à côté du mien

« Je ne vous dérange pas ?

– Non, absolument pas ! s'exclama Emilie de derrière son cahier.

– Oh, Alexandra ! s'étonna-t-il en me reconnaissant.

– Oh, Philippe ! répondis-je en étirant mes lèvres de manière à former un sourire qui paraîtrait le plus ravi possible. »

Un ange passa, le temps que Philippe rentre son sac de voyage dans la galerie et qu'il s'asseye. Emilie n'avait pas la moindre intention de sortir de ses leçons de mathématiques, et moi, je ne savais pas comment lancer la conversation. Est-ce qu'il fallait que je lance la conversation, d'ailleurs ? Heureusement que ma chère cousine la plus proche en âge n'était pas dans les parages, ses regards entendus et ses clins d'yeux lourdingues m'auraient fait rougir comme une tomate. Le cousin de Solange brisa la glace :

De mes cendres je renais -- Tome IWhere stories live. Discover now