Fraternelles explications

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Une table en sapin, quatre chaises en bois, une pièce avec pour unique décoration un crucifix qui prenait la poussière, des moisissures sur les murs. Avec en plus l'uniforme usé que portaient ses frères, Arthur avait l'impression de visiter deux bagnards.

« C'est sympa de passer, en tout cas, conclut Paul d'un ton léger, pour apaiser la situation.

– Tu aurais pu rester à Paris, aussi, grogna Jean.

– Ce n'est pas ma faute, Jean, tu n'avais qu'à mieux ranger tes affaires ! »

Arthur ne releva pas le regard outré que lui lança son cadet. "Ne tuez pas le messager", disait Sophocle. Mais comme ces deux idiots qui lui servaient de frères avaient lâché les lettres classiques dès qu'ils l'avaient pu, ils ne pouvaient pas savoir.

« Et papa te fait savoir que même s'il désire respecter la trêve de Noël, tu auras une discussion avec eux dès la fin du repas du Nouvel An, reprit-il.

– Trop aimable.

– Et maman a acheté tous les Soljénitsine qu'elle pouvait trouver en librairie. Attends-toi à les retrouver sous le sapin pour toi.

– Plus subtile tu meurs ! ironisa Paul.

Arthur commençait à trouver le conseil de Jean de rentrer à la maison de plus en plus intéressant. Ce n'était pas de sa faute à lui, si en voulant ranger la chambre de son deuxième, qui était comme d'habitude en bazar total, Anne-Claire de Mont-Frémont était tombée sur deux numéros récents de l'Humanité coincés entre les lattes du sommier et le matelas du lit de Jean, et aussi un papier d'inscription aux Jeunes Communistes Français — non complété, Dieu merci. Sa mère avait prétendu avoir fait un malaise en découvrant cela, Arthur la soupçonnait de dramatiser sa réaction, elle devait au plus avoir hurlé de désespoir, voire même envisagé d'appeler le lycée pour incendier Jean, mais les lignes étaient coupées à ce moment-là à cause d'une énième averse monumentale de neige comme on pouvait en avoir souvent dans les Alpes.

Jean communiste. Si ce n'était pas la réalité, la situation l'aurait fait éclater de rire. Il comprenait mieux où allait Jean certains samedis soirs. Une réunion des JC, et non à un rallye mondain dans la capitale comme il ;e prétendait.

« Dis-moi Jean, est-ce que tu as un T-Shirt Che Guevara ? demanda Paul taquin.

– Ta gueule, le chacha !

– Pardon ? s'étrangla Arthur qui comprit que le communisme de Jean n'était pas la seule chose qu'on lui taisait.

– Je te prie de bien vouloir fermer ton clapet, mon cher frère, cela est-il mieux ? rectifia Jean avec humeur.

– De quoi as-tu traité Paul ?

– De rien du tout ! » S'énerva celui-ci.

Paul fuyait le regard d'Arthur, et regardait obstinément vers la fenêtre du "parloir". En y réfléchissant bien, lui aussi avait commencé à partir pour des week-ends loin de la maison, chez des "amis". Mais il n'avait jamais donné le nom des amis en question.

« Où habitent les amis chez qui tu passes souvent tes week-ends, Paul ?

– A côté de Lyon, si tu n'étais pas aussi tête-en-l'air, tu t'en souviendrais, rétorqua-t-il sur la défensive.

– En Saône et Loire, même, siffla Jean.

– Jean, bon sang, je n'ai jamais dit à personne que tu étais communiste, tu pourrais avoir la politesse de protéger ma vie privée ! s'exclama Paul ulcéré. Et ne crois pas que c'est en me balançant à Arthur que tu vas te racheter. Ce ne sont pas les procès de Moscou, ici ! »

De mes cendres je renais -- Tome IWhere stories live. Discover now