Félicité familiale

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Constance abandonna avec soulagement sa cousine devant le dortoir Sainte Thérèse. Les Mont-Frémont d'Artigny vivaient à Rennes, donc Brieuc et Solange ne pouvaient retrouver leurs parents tous les week-ends. Ils faisaient donc comme leurs cousins de Tilly depuis des lustres : ils logeaient chez leurs grands-parents.

Gilles de Mont-Frémont, dix-huitième vicomte de Mont-Frémont, seigneur de Valcivières, et son épouse la vicomtesse Mathilde, troisième fille des comtes de Jagelles, lointains descendants, disaient-ils, des rois de Pologne, vivaient dans le château des Trois-Buttes, en plein massif du Vercors. La demeure possédait l'avantage d'être beaucoup plus accessible depuis les Institutions que la capitale ou le chef-lieu de la Bretagne. Constance aimait loger chez ses grands-parents. Elle y avait sa chambre personnelle, et préférait les grands espaces de l'Isère plutôt que les immeubles bourgeois et étroits de Neuilly sur Seine. Les jumeaux pouvaient se défouler dans le parc au lieu de faire les quatre cents coups dans l'appartement de leurs parents, ce qui permettait à Serge de travailler en paix, et à Lucie de jouer à la poupée de tout son saoûl, sans qu'Alexis décide, pour rompre son ennui, de lui tirer les cheveux. Et surtout, l'ambiance familiale était meilleure, sans les parents pour se disputer.

La jeune lycéenne aimait beaucoup sa cousine Solange. Elle aimait tous ses cousins, de toute façon. C'était la famille. Solange avait un caractère moins torturé, plus simple que celui d'Alexandra. Malheureusement, Alexandra passait ses week-ends chez elle à Lyon. Et Solange ne savait pas s'occuper seule. Elle n'arrivait pas à se plonger dans un livre, n'avait pas la patience nécessaire pour se livrer aux travaux d'aiguille, ni la délicatesse pour la peinture, ni la sensibilité pour apprécier travailler son hautbois. Quant à la cuisine, elle ne pouvait s'empêcher de s'empiffrer de la moitié des ingrédients des recettes de cuisine que Constance avait essayé de réaliser avec elle.

Sans aucun de ses compagnons de jeu habituels — Stanislas et Alexis avaient réussi à être collés dès le troisième week-end de l'année pour avoir lancé une bataille d'eau dans les dortoirs — Solange n'avait cessé de coller Constance, qui aurait bien voulu prendre du temps pour préparer la messe de la semaine prochaine, travailler ses partitions de harpe, et éventuellement dégager du temps pour se consacrer à ses aquarelles.

La randonnée le samedi matin jusqu'à la croix de Châtelard à deux bonnes heures de marche des Trois-Buttes n'avait pas réussi à épuiser la boule d'énergie qui lui servait de cousine, et elle avait bien failli la perdre plusieurs fois. D'abord parce qu'elle ne l'attendait jamais aux intersections, ensuite parce qu'elle ne semblait pas repérer les voitures qui manquaient de l'écraser quand elle marchait en plein mileu de la route. La prochaine fois, elle la ferait marcher avec les jumeaux jusqu'au lac de la Grande Moucherolle, à presque deux-mille mètres d'altitude, et encore plus loin du château des Trois-Buttes.

Solange avait aussi supplié ses grands-parents de la laisser aller au centre équestre à côté. Ils avaient accepté, sauf que Bon-Papa avait trop de travail, et Bonne-Maman une réunion avec les dames de la paroisse pour l'organisation de la brocante d'automne, qui permettrait de lever des fonds pour réparer la toiture de l'église de Corrençon. Bonne-Maman ne se rendait aux réunions paroissiales uniquement si cela lui permettait d'échapper à quelque chose de pire. Personne ne pouvait donc accompagner jusqu'au village de Saint-Martin la trop jeune Solange, sauf la généreuse, serviable et dévouée cousine Constance qui avait passé son samedi après-midi à regarder une gamine de onze ans s'éclater en faisant des tours de manège sur un poney noir et blanc qu'elle avait trouvé laid, et très sale. Elle était bien placée pour le savoir puisque c'était elle qui avait dû le brosser à la fin de la séance d'équitation. Solange avait préféré sauter dans les flaques d'eau devant les écuries avec ses nouveaux amis, des gamins qu'elle ne connaissait pas deux heures auparavant.

De mes cendres je renais -- Tome IWhere stories live. Discover now