Question de pédagogie

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La fraîcheur du printemps avait laissé la place à la chaleur plus étouffante de l'été. Les bérets larges et plats avaient été remplacés par des canotiers plus élégants, les raquettes et les bottes fourrées par des derbies plus légères, les multiples chandails et écharpes par des chemises à manches courtes et des jupes plissées.

Les compétitions interclasses commençaient demain pour nous, les sixièmes, mais avaient déjà commencé depuis deux jours pour les autres niveaux. J'aurais bien voulu m'inscrire en badminton, mais cette discipline n'était ouverte qu'à partir de la cinquième. Nanthilde avait réussi à me persuader d'intégrer l'équipe féminine de volley de la classe en tant que remplaçante, et je comptais bien rester sur le banc de touche le plus longtemps possible. Je ressortais des entraînements avec des poignets rouges ou bleus, en fonction de la puissance des lancers que j'interceptais en manchettes.

Emilie s'était inscrite d'office en course à pied, et avait été frustrée de ne pouvoir concourir que parmi les filles de notre niveau. Selon elle, elle aurait réussi sans peine à dépasser tout les garçons de sixième, et même peut-être les garçons de cinquième. Mais Philippe, le meilleur chrono de la classe, refusait de se mesurer à mon amie. Selon lui, parce qu'il jugeait peu élégant et absurde de se mesurer à une fille, selon elle, parce qu'il mourait de peur de se faire battre par une fille.

Je venais justement d'assister à l'épreuve de course de la classe de quatrième. Mon cousin Brieuc n'avait pas été brillant, et Solange prenait un malin plaisir à tourner son frère en ridicule :

« C'est quand même dingue que sa classe l'ait choisi. Je suis sûre que j'aurais pu le dépasser...Mon Dieu qu'est-ce qu'il était lent ! Tellement lent. Une grosse limace, bien baveuse...»

Comme je l'espérais, l'histoire de mon empoisonnement à la belladone était vite sortie des esprits. Mme de Maisonneuve n'avait eu aucun problème avec la justice, mais je ne parlais presque plus avec Elise. La dernière fois que la blonde à la longue tresse m'avait adressé la parole, d'ailleurs, c'était pour m'annoncer que sa mère lui avait offert un couteau à dépecer "au cas où, pour le collège." Je n'avais pas eu besoin d'une explication pour comprendre que jétais toujours dans la ligne de mire de la très élégante mère de famille.

Ce qui animait les bruits de couloir en ce moment aux Institutions, c'étaient les transferts de classe en sixième, en cinquième et en quatrième. Il y a quelques jours, Ombeline de Saint-Amanlt, une camarade de classe avait été transférée en sixième quatre, tout comme un certain Edouard Delaporte, un sixième six qui avait rejoint finalement la sixième une. 

Et aussi, chose sans trop de rapport, le début d'idylle de Nanthilde avec Armand d'Ouvet se trouvait au coeur des conversations, chose qu'Emilie méprisait fortement. Elle ne se gênait pas pour montrer son désaccord auprès de notre amie, ce qui avait d'ailleurs entraîné des discussions plus tendues que les joutes verbales qu'elles se livraient d'habitude. Armand n'était pas foncièrement méchant, je le trouvais juste idiot, lourd, et absolument pas digne de fréquenter Nanthilde. Mais je n'avais pas envie de m'impliquer davantage dans la vie amoureuse de mon amie, et avais bon espoir qu'elle se rende compte de sa  lourde erreur.

Solange déblatéra encore quelques instants sur quelque chose qui n'avait plus aucun rapport avec la nullité de Brieuc à la course à pied, peut-être sur les exercices vicieux que M. Pichard lui avait donné pour avoir tenté avec les jumeaux et Auguste de lui voler ses stylos rouge pour les troquer contre des stylos roses à paillettes, et puis ma cousine se rendit compte que je ne l'écoutais plus tellement, les yeux perdus dans le vide qui séparait mon visage de l'arbre le plus proche de moi.

« Eh, Alex, tu dirais quoi, d'aller vers le bâtiment Nord ? 

– C'est interdit, Solange. Tu n'y es pas déjà allée ? Te connaissant, cela ne serait pas très surprenant.

De mes cendres je renais -- Tome IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant