Apprendre à (se faire) aimer

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« Voici le Sanctus, l'anamnèse, et voilà l'Agnus ! C'est bon, tu as tout l'ordinaire de la messe ! »

Constance tendit les partitions pour orgue de la messe de la semaine à Pierre-Louis. Dieu seul savait où Viviane avait pu se fourrer, et jamais elle n'avait autant manqué à Constance.

Ils se tenaient dans la petite sacristie de la chapelle dans laquelle étaient rangées toutes les partitions, dans un placard dont seules les responsables d'aumônerie et l'abbé avaient la clé. Elle avait réussi à persauder Isaure de l'accompagner jusque dans la chapelle pour qu'elle serve de rempart entre Pierre-Louis et elle, mais son amie avait préféré l'attendre sur les marches de la chapelle, plongée dans la lecture d'un roman à l'eau de rose. Une histoire de marquise mariée malgré elle à une comte très laid, dont elle fint par tomber amoureuse sur fond d'aventures rocambolesques et invraisemblables au temps du Roi-Soleil. Isaure en était fanatique, et relisait le livre pour la quatrième fois, au moins, mais Constance s'était arrêtée au dixième chapitre, trouvant l'intrigue trop surfaite, trop peu réaliste. Personne ne vivait des histoires d'amour aussi incroyables, que ce soit au XVII° ou au XX° siècle.

Et en ce moment, Constance vivait le supplice. Même si elle avait réussi à l'éviter ces dernières semaines, elle n'avait pas réussi à oublier Pierre-Louis, et s'était même mise à rêver de lui ces dernières nuits. Plusieurs fois elle avait été tentée de renouer avec lui, et plusieurs fois elle avait dû se faire violence pour ne pas monter le rejoindre près de l'orgue après la messe. Le seul aspect positif de cette séparation volontaire, c'était qu'elle s'était plongée avec rage dans ses révisions de philosophie pour tenter de mettre à distance cette amourette. Maintenant, elle maîtrisait extrêmement bien tous les concepts du programme de terminale A.

« Merci beaucoup Constance. »

Elle accrocha ses yeux à une toile d'araignée dans le coin du mur. Un oubli lors de la dernière session de nettoyage de la chapelle. Mais surtout un moyen de ne pas croiser son regard.

« Tu...continues de rester sur ta position après notre discussion de la dernière fois ? demanda-t-il.

– Je...Oui. Il vaut mieux.

– J'ai réfléchi.

– Ah bon ?

– Tu n'es ni hautaine ni méprisable.

– Pierre-Louis...

– Si tu étais hautaine tu ne m'aurais jamais adressé la parole.

– La première fois que nous nous sommes parlés, je t'ai fait une remarque sur ta barbe mal rasée. C'est hautain, selon moi, comme remarque.

– Mais tu t'es excusée juste après. Je pense que la décision que tu as prise de ne plus me fréquenter...Tu ne l'as pas vraiment prise de gaîté de cœur.

– Qu'est-ce que ça change ?

– Je peux parler à ta mère, si elle est vraiment opposée à ce que je te fréquente.

– Pierre-Louis, entre nous deux, le problème, ce n'est pas toi, c'est moi. Tu devrais t'ôter cette lubie de l'esprit, et je ne sais pas...travailler tes maths ? Je me suis plongée dans la philo ces derniers temps, et maintenant je me sens fin prête pour la bac. Pascal et son pari, Descartes et preuve ontologique de l'existence de Dieu, Kant et l'impératif catégorique...je connais tout ! »

Et c'était vrai. A chaque fois qu'elle se surprenait à penser à Pierre-Louis ou à ses muscles, ou à ses yeux, ou à n'importe quoi émanant de sa personne, elle se forçait à apprendre par cœur un texte de philosophie. Elle savait réciter des passages entiers de La Lettre à Ménécée d'Epicure ou bien le texte du voile d'ignorance de Rawls avec fluidité et en comprenait les moindres aspects. Pierre-Louis grimaça :

De mes cendres je renais -- Tome IWhere stories live. Discover now