Silences et non-dits

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Je me trouvais bien audacieuse de me promener dans le secteur des lycéens. Même si les bâtiments étaient construits de la même manière que ceux du collège, la plus grande taille des élèves qui les occupaient et les rubans noirs, blancs ou rouges qu'ils arboraient à leurs poignets m'impressionnaient. En théorie, les collégiens n'avaient pas le droit de se promener ici, mais j'avais vu Emilie le faire plusieurs fois pour retrouver son frère en première. De toute façon, j'avais trop tardé à rendre le papier pour le camp de l'aumônerie, et si je ne le donnais pas avant la fin de la semaine à Constance, ce serait trop tard. Et puis j'avais aussi celui d'Elise à rendre.

C'était la première fois que ma cousine éloignée acceptait mon aide, et j'en étais bien contente. Elle m'avait aussi avoué avoir moins d'ennuis avec les autres élèves depuis que j'avais pris sa défense. L'espoir de maman semblait s'être réalisé, et j'avais été fière de lui annoncer dans ma dernière lettre qu'Elise m'avait montré tout son matériel d'aquarelle ainsi que quelques une de ses oeuvres un mercredi après-midi. Un rapprochement qui avait donné lieu à d'autres rapprochements, comme sa décision de s'inscrire avec moi au camp de l'aumônerie. Emilie n'avait pas réagi à cette nouvelle. Si elle ne semblait pas folle de joie à l'idée d'inclure la petite blonde dans notre groupe, elle ne s'y était pas non plus farouchement opposée :

« Eh, la rousse, qu'est-ce que tu fabriques ici ? »

Je frémis d'angoisse. Une grande brune, exhibant fièrement le ruban blanc des premières autour de son poignet, venait de m'interpeller, et traversait à petites foulées la cour des lycéens pour arriver à ma hauteur.

« Je...je... dois donner un papier à Constance de Tilly...

– En terminale A ?

– Oui, c'est ça.

– Je vais lui donner.

– J'aimerais bien la voir en personne, s'il vous plaît...

– C'est bon, je suis superdéléguée, je ne vais pas le manger, ton papier !

– C'est juste que...c'est ma cousine...Je ne peux vraiment pas la voir ? S'il vous plaît ! »

Ma jambe gauche s'était mise à trembler. Je ne voulais pas faire de mal à quiconque, pourquoi agissait-elle comme cela ? Je n'avais pas l'habitude qu'on me gronde, et soudain mes craintes les plus profondes remontèrent à la surface de mes émotions. Et si elle me dénonçait auprès d'une surveillante ? Ou pire, auprès de Mme Carvigean ? Et si à cause de mon intrusion au lycée j'avais une heure de colle, ou pire, une exclusion temporaire ? Maman serait alors obligée de venir me chercher en voiture, alors qu'elle était à deux mois du terme de sa grossesse. Et si elle faisait une fausse couche à cause de moi ? Mes yeux me piquèrent, et mes doigts serrant les bons d'inscription étaient tellement moites que des tâches brunâtres s'étaient déjà formées sur la papier.

« C'est bon, pas la peine de te mettre à chouiner, tu peux aller la voir, soupira la grande jeune fille. Elle doit être dans sa classe.

– Merci beaucoup...répondis-je d'une voix chancelante.

– La prochaine fois, attends les repas de famille pour communiquer avec les lycéens. C'est pénible de voir des collégiens traîner dans le coin. Ils n'ont pas à être ici.

– Oui oui, acquiesçai-je, en commençant à me diriger vers le bâtiment des terminales.

– Et fais vite ! »

Je courus pour ne plus que la grande brune ne me gronde. Pourvu que Constance soit vraiment dans sa classe, je n'avais pas envie de m'éterniser dans cet endroit où je n'étais pas la bienvenue. Je montais quatre à quatre les marches des escaliers, et comme je ne connaissais pas les lieux, je devais arpenter les couloirs en entier pour chercher la classe des terminales A. Et donc encore plus me faire remarquer.

De mes cendres je renais -- Tome IWhere stories live. Discover now