Compromis

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« Je sais bien que ce ne sont pas vos enfants, mademoiselle de Tilly, mais si jamais vous connaissez une seule chose qui puisse canaliser vos frères, dites-le moi tout de suite. »

M. Garentenay, directeur adjoint de l'Institution Saint-Thomas d'Aquin, tambourinait un rythme rapide sur son vieux bureau de ses ongles. Les élèves des Institutions apprenaient bien vite que plus le rythme frappé sur la table était rapide, plus le directeur était mécontent. Et aujourd'hui, le rythme était rapide. Hier, Stanislas et Alexis avaient rempli de confiture de fraises la serviette de Mme Astier, avec la complicité de Solange et du fils du directeur. Un de leurs canulars habituels, mais qui avait viré au drame quand on avait su que la serviette en question contenait les copies de bac blanc des terminales C tout juste corrigées, et un coûteux foulard Hermès qui avait valu deux mois de salaire de la jeune professeur d'histoire. Constance, assise le dos droit sur sa chaise devant le directeur, sentit son cœur se serrer au souvenir des yeux rougis de la jeune femme errant dans le couloirs des terminales après avoir découvert le mauvais tour que les jumeaux lui avaient joué.

« Monsieur, je sais que Stanislas et Alexis nous mènent à tous la vie dure, mais je peux vous assurer qu'ils ne sont pas animés par de mauvaises intentions...Ils sont jeunes, ils ne pensent qu'à s'amuser, à tromper leur quotidien qui les ennuie...»

Elle pataugeait, et savait que ses arguments n'avaient aucune valeur pour M. Garentenay. Quant aux mauvaises intentions, elle n'en était pas bien sûre. Stanislas faisait réellement cela pour s'amuser, mais Alexis, le plus sombre des deux, semblait retirer de leurs farces à répétition un plaisir sournois que Constance trouvait malsain.

« Je ne veux pas des causes, ni une plaidoirie, je veux des moyens de lutte. Le seul que j'ai en tête pour l'instant, puisque les heures de colle ne semblent pas les calmer, c'est l'exclusion définitive. »

Constance blêmit. Tout sauf ça. Elle ne pouvait les laisser aller dans un autre lycée sans qu'ils soient sous la houlette de quelqu'un de confiance. Ou alors, elle pouvait s'arranger pour faire ses études près du collège qui voudrait bien les accueillir...Non, ce n'était pas négociable, un Tilly de Mont-Frémont faisait sa scolarité aux Instititions, c'était comme écrit dans du marbre, et si les jumeaux manquaient à la règle, l'opprobre allait retomber sur toute la famille. Déjà que ses parents n'arrangeait pas grand-chose, s'il fallait en plus que les jumeaux s'y mettent...

« Non, non, je suis sûre qu'il y a d'autres solutions...Je leur parlerai, je vous promets, mais ne les virez pas...»

Elle aurait pu se mettre à pleurer sur commande, si cela avait pu faire fléchir M. Garentenay, mais ce n'était pas digne d'elle. Et inutile. Il était Empathe, il aurait perçu l'hypocrisie de ses larmes. Le directeur tapota le bureau encore plus rapidement, avant de déclarer de sa voix rocailleuse :

« Normalement, je ne fais ce genre de chose qu'en présence des parents, mais comme ils ne paraissent pas disponibles dans l'immédiat, je vais vous proposer un marché : plus d'écarts disciplinaires, et une moyenne supérieure à 12, et je plaiderai en leur faveur au conseil de classe de fin d'année.

– Sinon ?

– Sinon ils partent.

– C'est entendu, monsieur. » acquiesça-t-elle.

Elle fit malgré elle un grand sourire, et manqua de se déboîter le petit doigt en se tordant la main droite avec la main gauche. Cet objectif lui paraissait inatteignable pour ses frères, mais ne disait-on pas que rien n'était impossible à Dieu ? Elle résolut de commencer une neuvaine à Sainte Rita, sainte patronne des causes désespérées, dès ce soir, et prit congé du directeur adjoint, qui lui lança avant qu'elle ne sorte du bâtiment :

De mes cendres je renais -- Tome IWhere stories live. Discover now