Chapitre 3

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Jean-Pierre Hicham Bourjila Saint-Opignac, journaliste du Petit doukalli, attendait encore un taxi à El Jadida. Il avait retenu la leçon et patientait maintenant dans un rond-point. Cela le forçait à supporter l'odeur ambiante, mais lui permettait d'économiser une bonne heure, temps précieux pour un journaliste de son acabit.

Un véhicule beige finit par s'arrêter devant lui et, en voyant son conducteur, le français releva ses joues pleines de fromages « Salut, vous vous souvenez de moi ? »

L'homme à la moustache soupira.

-Vous allez où ?

-À l'autre bout de la ville, vers l'hôpital Mohammed V.

-Montez...

Pendant quelques instant, le chauffeur de taxi eut l'espoir que le trajet se passerait sans paroles - espoir futile.

-Je sais ce que vous dites : Ne devait-il pas prendre le train pour Rabat hier ? Malheureusement, quand je suis monté dans le véhicule, j'ai vu deux grand gaillard en costard et lunettes de soleil devant moi. Des agents du gouvernement, évidemment. C'est les risques du métier. Je suis donc retourné dans ma chambre d'hôtel et j'ai continué d'enquêter sur cette affaire. De toute façon, certains éléments restent flous.

-Si vous le dites.

-Vous voulez savoir pourquoi je vais à l'hôpital alors que je pète la forme ?

-Pas vraiment.

-Et bien, figurez-vous qu'un homme m'a envoyé une lettre hier, pile dans ma chambre d'hotel. Il dit posséder de précieuse informations qu'il veut bien me transmettre. Il s'est contenté de me dire que lui était petit et avait toujours un chapeau rond. Ce ne sera pas facile de le reconnaitre dans une foule, mais j'ai l'œil pour les détails. Après tout, ne suis-je pas journaliste ? ( l'homme arreta sa phrase en voyant un garçon au bord de la rue : ) Je crois qu'il veut monter.

Le chauffeur de taxi freina devant le gamin en short fleuri.

-Salut tonton !

-Mehdi... Ou tu vas ?

-À la plage !

-T'y es pas allé avec ta mère hier ?

-J'y vais avec Bilal, Zakaria et Jamal, cette fois-ci.

-T'as de quoi payer ?

Le gamin fouilla ses poches. Il en ressortit une pièce de dix dirham pleine de sable.

-Monte, grogna le chauffeur.

Le gamin sauta sur les sièges passagers et le journaliste le fixa longuement.

-Comment tu t'appelles, petit ?

-Medhi, m'sieur ! Et vous ?

-Hicham... Tu étudies bien à l'école ?

-Bien sur m'sieur !

-C'est bien. Continue comme ça. Si tu travailles assez bien tu écriras peut-être pour un grand journal comme moi,

-T'es journaliste ?

Jean-Pierre ne dissimula pas son sourire :

-On peut dire ça... Je travaille pour le petit doukalli, un peu comme toi, ha ha ha...«

Après quelques mètres, la voiture freina à nouveau ; un troisième maraud attendait là, les cheveux recouvert de gel.

-Ou tu vas ? demanda le chauffeur en baissant son rétroviseur.

-Au bout du boulevard, grogna le voyou.

-Monte.

Il se plaça sur le siège avant et dès que la voiture reprit sa course, des sirènes de polices résonnèrent.

-Accélère, dit le nouveau

Le chauffeur appuya plus fort sur la pédale alors que le journaliste marmonnait :

-Ça doit être pour moi ! Ça doit être pour moi !

Au bout le rue, le chauffeur ralentit, puis se tourna vers le plein de gel. « Vous descendez ? »

L'homme sortit un colt de sa poche. «Continue sur la rue à droite »

Le chauffeur hésita puis, sentant la froideur du revolver contre son front, s'exécuta.

Le journaliste plissa les sourcils. « Quel lien avec moi ?... Pas besoin de prendre un otage, je vous donnerais les documents que vous voulez ! »

Les sirènes augmentaiten en nombre et le flingueur finit par lacher :

-Accélère un peu plus et tourne à gauche

Le chauffeur appuya sur la pédale en tournant le volant, poussant la voiture dans l'une de ses rues labyrinthique qui défigurait la ville. Celle dont les natifs ignorait le nom et qui apparaissait une journée avant de changer de disparaitre lendemain

Medhi levait les bras en l'air comme s'il était dans une attraction de Sindibad. Lorsqu'il raconterait sa mésaventure à ses amis, aucun ne le croirait.

Jean-Pierre, lui, commença à mouiller son pantalon allemand. « S'il vous plait si ça ne me concerne pas, laissez-moi descendre ! Je sais que les difficultés économiques de votre pays dictent vos actions. Mais, moi, je suis là pour vous aider à régler ces problèmes. Si vous traitez tous les amis du peuple comme ça, vous ne vous en sortirez jamais !

Dans la radio, les nass l'ghwian gémissait : « Ou m'emmenes-tu, mon frére ? Ou m'emmenes-tu ? »

Le maraud se contenta de chuchoter :

-Roule plus vite, mon oncle.

Le chauffeur serra ses dents. Son pied pesa si fort sur l'accélérateur qu'il faillit le décoller.

S'il n'avait pas passé sa vie à conduire dans le recoin le plus obtus du monde, le chauffeur aurait été incapable de dompter les virages qui l'attaquait l'un à la suite de l'autre.

Le gamin gardait les yeux bien ouverts et le français les fermait, persuadé qu'un accident les attendait au prochain accord de guitarre. Pourtant, la voiture finit sa course en parfait état, freinant devant un cul-de-sac obscur.

-Et maintenant, vous allez descendre ? grogna le chauffeur.

L'homme sourit sans baisser son arme. Le bruit des sirènes s'était éloigné.

-Accélère.

-Vous êtes fou !

-Je t'ai dit : accélère !

-Excusez-moi, monsieur... s'empressa d'ajouter le journaliste. Je ne sais pas si vous souffrez de problème de vue, mais un mur se trouve devant nous.

-Justement...

-Justement, grogna le chauffeur, je vais bousiller ma voiture !

-Et accessoirement perdre la vie, rajouta le journaliste.

-Ça reste moins risqué qu'une balle dans la tête, mon oncle. Ricana le forban.

Le chauffeur maugréa sous sa moustache. « Regarde, mon fils, des gens doivent vivre dans la maison où tu veux que l'on rentre, peut-être des enfants. Nous sommes tous les produits de Dieu... Pourquoi se chicaner ? »

-C'est pas le moment de te prendre pour un imam ! Accélère ou je le fais à ta place.

Le moustachu se frotta les mains pendant que le français remplissait de jus les sièges arrière. Mehdi se demandait comment raconter ça à ses amis, quel expression faciale allait-il prendre pour faire chaque personnage.

-Si c'est ça que tu veux, on va rentrer dans ce foutu mur ! Tu n'auras qu'à expliquer ça le jour du jugement dernier, lorsque Dieu te demandera pourquoi tu as tué tout une famille innocente, un gentil chauffeur, un journaliste naif et un gamin débile.

- C'est ça, grand-père ... Maintenant, roule.

Jean-Pierre sentit sa conscience le quitter. Le bandit éclata de rire, l'enfant ferma les yeux et le chauffeur enfonça la pédale.

La voiture fonca contre le mur, puis l'endroit devint aussi calme qu'avant l'arrivée des hurluberlus. 

El MehdoumaWhere stories live. Discover now