1.1 - Le marché

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 Je me rendis d'un pas pressé à la pépinière où j'étais engagé depuis peu, tentant de ne pas trop faire de détour. L'envie de flâner me tiraillait, mais j'avais insisté afin d'obtenir cet emploi et même s'il n'était pas celui dont je rêvais, je ne pouvais pas me permettre d'arriver en retard.

Montrer le moindre signe de défaillance me serait nocif ; parce qu'ils n'attendaient que ça, que je dévoile une faiblesse. On me certifierait alors que ce travail demeurait trop éprouvant pour un humain, qu'il valait mieux que je rentre chez moi pour prendre soin de Lya, mon épouse. Et chaque personne qui aurait vent de cette histoire les soutiendrait corps et âmes, m'enjoignant à penser à ma race.

En tant qu'espèce sur le déclin, nous étions choyés, incités à avoir une vie simple, tournée vers la famille ; tout ce qui me déplaisait au plus haut point. À l'encontre du bon petit humain, gâté depuis sa naissance par les créatures avec lesquelles nous cohabitions, je rêvais de quitter l'oasis. Je désirais ardemment découvrir le désert et ses tribus sauvages, aller aux cascades de glaces, visiter les terres des immenses forêts à l'est où l'on disait qu'il pleuvait deux jours sur trois et, pourquoi pas, un jour, poser le pied à Nah'la.

Cependant, partir m'était impossible. Les raisons demeuraient nombreuses, mais la plus importante concernait ma femme. En conséquence, je m'accommodais de la vie qui m'incombait, de ce mariage ressemblant plus à une vaste farce qu'autre chose.

Éreinté par cette vie ennuyeuse à mourir, j'avais décidé de prendre un emploi. J'avais bataillé durant trois mois, relançant sans cesse les entreprises que j'avais visitées et il y a quelques semaines, on m'avait enfin proposé un essai.

Les premiers jours furent éprouvants, car je ne connaissais rien à l'horticulture. Mes collègues m'avaient formé sur le tas, au détriment parfois d'informations essentielles. Au début, ils refusaient que je fasse autre chose qu'hôte de caisse. J'avais donc passé des heures à servir des clients qui me rappelaient sans arrêt que je ferais bien mieux de consacrer mon temps à ma famille, que je devrais penser à ma race avant tout. Ils n'étaient pas méchants ou donneurs de leçons, ils me traitaient tous avec gentillesse et douceur, mais je ne supportais plus cette pression sociale constante. À force que je devienne de plus en plus morne, on m'avait changé de poste.

Maintenant, je vaquais à de vraies occupations à l'arrière, les mains dans la terre ! Enfin, quand on me laissait faire. Ils avaient beau m'avoir accepté dans leur équipe, il suffisait d'un soupir, même bref et ténu, pour que l'on m'impose une pause de vingt minutes. Mais toutes ces attentions teintées d'inquiétude, tous ces discours irritants, assuraient notre survie.

Quand les puissances mondiales s'étaient aperçues que les humains s'éteignaient, elles s'étaient réunies afin de prendre une décision visant à nous repeupler. Depuis lors, nous devions nous marier avant de célébrer nos vingt-deux ans. Bien entendu, les relations interespèces étaient proscrites et, quand bien même nous le souhaiterions, ils étaient réfractaires à se frotter à nous. Nous ne les dégoûtions pas, non... C'était bien plus vexant. Ils ne désiraient simplement pas être « responsables de l'extinction ».

En plus d'une union hétérosexuelle obligatoire, une seconde règle, bien plus vicieuse, fut instaurée. Elle explicitait que les humains se devaient de consacrer leur vie à la procréation, toujours dans le but de grossir les chiffres. Des milliers d'entre nous avaient alors perdu leur emploi « pour le bien de la race ».

Ainsi privés de nos revenus, les divers royaumes durent subvenir à nos besoins et petit à petit, tout ceci n'était devenu qu'un outil pour exhiber leurs richesses. Ce n'était plus à l'aide du PIB qu'un pays affirmait sa supériorité, mais grâce à son taux de DPH ; la densité de population humaine par hectare.

Mirage [MxM] [Terminé]Where stories live. Discover now