XXXIII

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Quand la journée est de retour et que je me remets en route en poursuivant le chemin, je ne tiens pas la mâtinée et je m'écroule épuiser au sol. Je me réveille quelques instants plus tard en sursaut sur une plateforme en mouvement. Je regarde mes poignets et mes chevilles, je ne suis pas attachée. Je me redresse et je remarque que je suis étendue sur une charrette tirée par un âne. Une personne emmitouflée dans son foulard se retourne vers moi.

- Ah, tu es réveillé, tiens, prend ça. Dit-il en me tendant un fruit. Mange-le, il est gorgé d'eau, ça va te faire du bien. Dit le garçon que je reconnais être l'un des fils que j'ai vu le soir même.

Je prends le fruit qu'il me tend et le fais tourner dans ma main.

- Ma mère m'avait demandé de te surveiller de loin, elle s'est inquiétée... et elle avait raison à vrai dire... tu fais peur à voir sans vouloir te vexer.

Je baisse les yeux sur le fruit que je tiens dans la main, j'imagine bien que je ne dois pas être belle à voir, avec mes cheveux non coiffer et ma tenue d'homme trop grand, déchirer et tacher.

- Mange ! M'intime le garçon.

Je tourne et retourne le fruit dans mes mains sans savoir que dire et je finis par m'enfoncer une épine dans le doigt. Le garçon le voit et tend la main vers le fruit.

- Tu ne connais pas ce fruit ?

Je dis non de la tête. J'ai gouté à plein de fruit différent au domaine, car on n'en manque pas, mais jamais de cette sorte-là. Il a une forme ovale, de couleur rose avec des épines a des endroits. La peau semble dur.

Le garçon me le reprend et sort un couteau, j'ai un léger mouvement de recule, mais je comprends vite qu'il n'a pas de mauvaise intention quand il coupe le fruit en deux et que du jus se déverse sur ses doigts. Il me redonne le tout et me dit de manger la chaire.

Après une brève hésitation, je finis par croquer dedans et du jus glisse sur mes lèvres, mes doigts et mon menton. Ce fruit que je ne connais pas est bon, sucré, juteux et me redonne de la force, je me sens tout de suite beaucoup mieux.

- C'est le fruit du cactus, il est bon en gout et pour la santé...

- Je n'en avais jamais mangé...

- Tu dois vraiment venir de loin alors...

Il tire sur les rennes et stoppe son âne.

- On va bientôt arriver au village, je n'ai pas envie de te faire peur, mais les hommes du village... en tout cas, une fille, une jeune femme comme toi... ça ne court pas les rues... et depuis quelques jours des grosses berlines noirs aux vitres teintés tourne et scrute chaque ruelle et maison... Je pense... enfin, nous pensons... ma mère et moi qu'ils ne sont pas là par hasard... surtout depuis que l'on t'a vue...

- Que comptez-vous faire de moi ? Je demande le plus simplement du monde.

Il se retourne vers moi et ses épaules se relâche en même temps que sa respiration.

- T'aider, nous ne te voulons pas de mal.

- On m'a déjà dit ça dernièrement...

- Qui ?

- Une vieille dame qui avait l'apparence de quelqu'un de bien.

- La sorcière... grogne le garçon.

- La sorcière ?

- C'est comme ça qu'on l'appelle dans ma famille, cette Baba, elle balance tout le monde aux autorités, tout le monde y passe... ah ça... elle ne manque de rien, mais elle n'a pas d'ami dans les parages, on aimerait bien lui faire sa peau, mais vu qu'elle fricote avec les autorités, elle est intouchable...

- Je lui ai mis le feu à sa maison.

- Sérieux ? Me demande-t-il, les yeux écarquillaient.

Il pouffe et finit par éclater de rire, sa bonne humeur est contagieuse et je finis par rigoler et me détendre un tout petit peu à mon tour.

- Bien joué ! Elle ne méritait que ça cette sorcière. Dit-il en rigolant.

Son sourire et sa bonne humeur me font du bien et ses yeux bleus qui m'observent timidement de côté me font tout à coup rougir. Je baisse la tête pour dissimuler ces rougeurs de mes joues, mais je pense qu'il les a vus, car il se détourne à son tour en rougissant aussi.

- Que veux-tu faire ? Où veux-tu que je t'emmène ? Puis-je t'aider ?

- Je voudrais retourner chez moi à Fragrance.

À ma réponse, il baisse les yeux honteux et triste.

- Je peux te rapprocher de la frontière, mais ça prendra des jours, j'en ai bien peur... Ensuite... Je ne sais pas comment tu pourras y rentrer si tu n'as pas tes papiers, car la frontière est bien gardée... Moi... Nous, qui vivons hors frontière, nous ne pouvons pas y aller.

- Je... je n'ai pas de papier non... Mais je suis une fille du domaine d'Arestier.

- Je suis désolé... je ne connais pas les grands de ce monde... mais tu sais des filles, eux, ils en ont pleins, j'ai peur que ce ne soit pas suffisant pour qu'on t'ouvre les portes... et j'aurais peur pour toi, en tant que fille seule.

- Pourquoi ne peux-tu pas y aller ?

- Chaque porte de frontières et d'arrondissement est payante... et je ne sais pas dans quel arrondissement ton domaine appartient... disons que je pourrais y aller... Si j'aurais été riche dans une autre vie... Mais je ne le suis pas... et je pense que si je l'aurais été, je serais certainement pas ici pour en parler, et je n'habiterais sans doute pas hors frontière.

Mon voyage semble encore plus dur que ce que je pensais.

- écoute... voila ce que je te propose... Tu es fatiguée et mal en point, ce n'est pas dur de le remarquer, repose-toi chez moi le temps qu'il te faut pour reprendre des forces et quand ça ira mieux, je t'accompagnerai jusqu'à la frontière.

J'hésite, l'expérience Baba m'a laissé un gout amer.

- On ne te vendra pas comme la sorcière, je peux t'en assurer. Dit-il la main sur le cœur.

- Qu'est-ce qui me le prouve ? Pourquoi ne pas vouloir me vendre pour du pain comme Baba la fait ?

- Nous ne sommes pas comme elle, nous travaillons dur pour s'autosuffire et ne rien demander aux autorités, je ne vais pas te mentir, oui, on est pauvre, mais on est une famille soudée avant tout.

Je regarde mes pieds un moment et je lui en suis reconnaissante de son silence et de sa patience.

- D'accord, mais je ne veux pas devenir un poids dans votre famille.

- Tu ne le seras pas.

J'accepte avec hésitation et à contrecœur, mais j'accepte, que puis-je faire d'autre ? Je suis au pied du mur.

- Très bien dans ce cas... je peux ?

Il me montre le foulard que je tiens dans les mains. Je le lui tends sans comprendre.

- N'ait pas peur de moi, je vais te le mettre comme il faut.

Il se tourne vers moi et commence à m'emmitoufler dedans de la même manière que lui dans le sien. Il saisit ensuite la casquette posée à côté de moi et me la dépose sur la tête en essayant de camoufler mes cheveux le plus possible.

- Le foulard, c'est pour la chaleur, on dirait que vêtu comme cela, on a plus chaud, mais c'est faux, tu vas voir, tu vas te sentir bien mieux... La casquette, c'est pour te faire passer pour mon frère et ne pas attirer l'attention. Si tu veux, tu peux ramener le foulard devant ton nez pour éviter de respirer la poussière.

Il fait claquer ses rennes et son âne se remet en marche en brayant. Je glisse le foulard sur mon nez et me sens soudain en sécurité derrière le morceau de tissu.

- Si j'ai un conseil à te donner pour l'avenir... devient un garçon. 

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⏰ Dernière mise à jour : Sep 26, 2023 ⏰

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