Lola : le syndrome du couloir de la mort

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Masa, qui m'attendait dehors, m'amena — sur ma demande — à l'appartement d'Ômote-sandô, où je voulais passer avant mon cours de danse. Les pièces vides, laissées telles quelles depuis notre évacuation en urgence conséquente à la déclaration de guerre de Kiriyama, m'évoquaient un reproche silencieux. Je posai rageusement le sac rempli de fringues sur le canapé et sortis direct, sans l'ouvrir : voir les vêtements de Hide, que je savais condamné à grelotter de froid dans les nuits automnales de plus en plus fraîches, me faisait trop mal.

Tant pis pour lui, tentai-je de me convaincre. Il est trop con. C'est lui qui l'a voulu !

Jamais un tribunal ne m'aurait condamnée à mort, moi. J'aurais dit la vérité direct.

Évidemment, je n'en étais plus si sûre. Les contacts que j'avais eus récemment avec la justice japonaise avaient fini par me convaincre de son iniquité. Mais je préférais accuser quelqu'un, trouver un coupable. Et Hide était le bouc émissaire tout désigné. Une fois de plus, tout était de sa faute. Sa manière de régler les problèmes n'était pas adaptée : se sacrifier pour couvrir un connard, ne pas parler aux flics, garder strictement les querelles entre yakuzas dans le milieu. Et tout ça pour se conformer à un stupide code d'honneur, qui n'existait que dans sa tête ! Aucun autre malfrat japonais encore en vie ne s'y conformait. Mais lui, en voulant jouer au dernier des Mohicans, mettait tout le monde dans la panade. Il ne pensait pas à l'avenir qui m'attendait, seule avec un enfant sans père. Tout ce qui lui importait, c'était, encore une fois, Miyako. Miyako ci, Miyako ça... il n'avait que son nom à la bouche. J'avais bien compris qu'il mourait d'envie de me parler d'elle dès le début de l'entrevue ! Il s'inquiétait plus pour elle que de moi, ou de sa propre mort.

Miyako. Il allait falloir que je m'occupe de son cas, d'une manière ou d'une autre. Hanako était toujours à la clinique, avec elle... Attendant probablement une sorte de feu vert de ma part. Je pouvais peut-être permettre aux deux femmes de s'installer dans la maison de Karuizawa, au vert et loin de l'agitation de la ville. Il me suffisait de revenir ici. Oui, j'allais faire ça.

Ma décision prise, je pris mes affaires de danse et sortis pour rejoindre le studio d'Anfal, deux rues plus loin. Depuis le départ de la chorégraphe turco-américaine, c'était moi qui animais le studio, ayant donné une coloration nettement plus arabisante à la musique et à l'expression scénique. Je savais que certaines s'en plaignaient, mais la plupart des danseuses étaient contentes, le style turc était dominant à Tokyo. Cela amenait un changement que j'espérais bienvenu.

Au studio, je retrouvai Sao, qui terminait tout juste le cours d'ethno-fusion que je lui avais confié. J'avais en effet distribué la direction des cours laissés vacants à mes copines, préférant m'en remettre à des personnes de confiance. C'était toujours ça de moins à gérer. Certaines rancœurs étaient naturellement apparues, mais personne d'autre au studio ne s'était montré capable de reprendre ces cours : je ne pouvais pas tout faire toute seule. Et avec le bébé qui grossissait à vue d'œil, ça n'allait pas s'arranger.

Sao jeta un regard complice

— Ça s'est bien passé ? me demanda-t-elle discrètement, alors que j'étais en train de régler la playlist pour la séance.

— Oui et non. Tu verrais dans quel état il est...

Sao balaya la salle du regard. Hiromi sortait justement des vestiaires, resplendissante dans ses fringues de luxe.

— Tu veux qu'on en parle après autour d'un verre ? murmura-t-elle.

Je savais que Masa m'attendait dehors avec la voiture, pour me ramener à Karuizawa. Mais j'hésitais justement à revenir à Tokyo, ne serait-ce que pour être plus près du pénitencier, qui se trouvait à Katsushika. Bien sûr, c'était une précaution superflue, vu que je n'avais le droit qu'à une visite par mois... mais quand même. C'était psychologique.

L'HÉRITIÈRE DU YAKUZA (sous contrat d'édition chez BLACK INK)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant