Hide : dignité

368 28 9
                                    

Ce matin-là, Hide fut tiré du sommeil par des hurlements déchirants. Il se redressa d'un bond, prêt à faire face. Puis il réalisa où il était. Il n'y avait personne devant la vitre, il était seul. Tous les gardes étaient occupés avec son voisin, qui, visiblement, se débattait comme un lion.

— Non ! hurlait-il. Je ne veux pas mourir !

Hide se figea, aux aguets. Il pouvait percevoir des coups sourds, des bruits de lutte.

— Tu vas te tenir tranquille, oui ! Un peu de dignité, que diable !

De la dignité. Oui, c'était ce qu'on attendait d'eux, comme les seigneurs qui s'ouvraient le ventre devant l'exécuteur du shogun, à l'époque Edo. Il avait vu un film comme ça, une fois, à l'orphelinat. Tout le monde avait trouvé le personnage de l'ancien bourreau devenu rônin, déchu de son statut, admirable, classe, avec ses techniques de sabre insurpassables. Mais Hide, lui, avait été choqué par le caractère foncièrement injuste et cruel de ce que subissait le peuple dans ces films. Jamais ce « héros » n'intervenait. Il laissait une femme être violentée sous ses yeux, un vieillard se faire sabrer pour la défendre, tout ça parce que ça ne concernait pas sa vengeance. Au début du film, il décapitait un petit garçon condamné pour des crimes commis par ses parents. Alors qu'il aurait pu sauver tout ce monde, avec sa force inégalable... mais il ne pensait qu'à sa vengeance, et allait jusqu'à exposer son fils, Daigoro, cinq ans.

Un véritable cri de bête tira Hide de ses réflexions. Il entendu un maton jurer, et reconnut la voix du jeune, le maillon faible.

— Je crois que...

— Attache-le, souffla le plus vieux. Dans le dos, comme d'habitude. Dépêche-toi : il nous reste moins de vingt minutes.

On attachait les détenus les mains derrière le dos uniquement le jour de leur exécution. Cela aussi, Hide le savait.

Il se leva, marcha vers la porte et risqua un coup d'œil derrière la vitre. Il put apercevoir les deux gardes soutenir un homme d'une soixantaine d'années, qui titubait, le visage livide. Au premier coup d'œil, il sut que son épaule était disloquée.

De nouveau, Hide revit l'image de l'exécuteur du shogun.

— Hé, vous allez l'emmener dans cet état-là ? Vous devriez le conduire à l'infirmerie, et reporter la procédure. C'est le règlement, si je me souviens bien.

Le maton plus âgé marcha vers la porte, menaçant. Il brandit sa matraque :

— La ferme ! Retourne t'asseoir, 1249 !

Hide ne bougea pas. Sans rien dire, il fixa le garde droit dans les yeux. Ça aussi, c'était interdit par le règlement. Mais puisque personne ne le respectait...

— Bon voyage, dit-il simplement au prisonnier 1250, dont il ne connaîtrait jamais le nom.

Ce dernier releva le regard vers lui. Ils n'avaient échangé que deux mots — une phrase chacun, pour être exact — mais cela suffisait pour créer un lien. Une lueur de connivence passa dans ses yeux, presque apaisés. Puis il baissa la tête.

Le sombre cortège reprit sa marche dans les couloirs, comme une procession de fantômes dans un film chinois.

Hide se rassit en tailleur. Il tenta de calmer les battements de son cœur enragé, de reprendre sa méditation. Il ne devait pas laisser de telles choses l'affecter, ou il ne tiendrait pas.

Mais si je ferme mon cœur au malheur du monde, alors, je deviendrai comme l'exécuteur du shogun, songea-t-il, inutile et cruel. Une grande force implique forcément une grande responsabilité.

L'HÉRITIÈRE DU YAKUZA (sous contrat d'édition chez BLACK INK)Where stories live. Discover now