Hide : le bouddha des condamnés

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— Allez le karatéka, c'est ton tour ! C'est aujourd'hui que tu franchis la rivière Sanzu. J'espère que tu as préparé tes petites pièces !

Hide releva la tête vers le maton. Il ne pouvait pas en croire ses oreilles. Finalement, la procédure en appel n'avait pas été acceptée...

— Et le recours ? demanda-t-il tout de même.

— Quel recours ? Tout ce que je sais, c'est qu'on m'a demandé de t'emmener à la chambre aujourd'hui. Et ne fais pas d'histoires !

Hide songea qu'il n'avait même pas eu le choix de son dernier repas. Encore un vice de procédure... mais qu'importe. Hier ou aujourd'hui, ça n'aurait rien changé. De toute façon, ici, la bouffe n'était pas bonne.

— Je peux écrire une lettre à ma famille ?

— Parce qu'un malfrat comme toi en a une ?

— J'ai une femme, un fils et une fille, répondit Hide sombrement. Et des gens qui comptent sur moi.

— Pas de chance pour eux ! Fallait pas miser ses billes sur un yakuza. Mais tu pourras rédiger ton testament dans l'antichambre : il y a ce qu'il faut. Allez, dépêche-toi si tu veux avoir le temps d'écrire tes lettres.

Hide se leva en silence. Il songea qu'il allait mourir dans cet uniforme affreux, en tissu gris et rêche, qui faisait transpirer. Mal rasé, la boule à zéro comme un bonze, avec ses lunettes loupe sur le nez. Il aurait mieux fait de finir dans une fusillade à Kabuki-chô, sapé d'un costume Armani.

Bon. De toute façon, quand on est mort, on est mort. Et en Enfer, on laisse ses fringues à l'entrée.

Mais tout de même, il aurait préféré une fin plus flamboyante.

Tout le long du couloir menant à la chambre, il s'efforça de ne pas penser à Lola et son petit à venir. Il la laissait toute seule. Finalement, il avait peut-être merdé. Comment allait-elle s'en sortir, sans lui ? Et Miyako ? Hanako, elle, s'en sortirait. Elle l'oublierait vite : elle n'avait appris qu'il était son père que depuis peu.

Non. Si moi, on m'avait dit, à dix-huit ans, qui était mon vrai père, pour ensuite me l'enlever immédiatement après...

Il ne l'aurait pas supporté. Et pourtant, il infligeait ça à cette pauvre gamine...

Le maton avait raison. Lola et Miyako avaient misé sur le mauvais cheval. Hanako, elle, n'avait tout simplement pas eu le choix.

T'aurais dû raccrocher quand t'en avais encore la possibilité. Baka yarô !

— Ta gueule, grommela Hide.

— Qu'est-ce que tu dis ?

Hide jeta un regard rapide au gardien.

— Rien, désolé. Je parlais tout seul.

— Tu récitais un sûtra ? Tu auras le droit de le faire devant la statue.

La statue. Il en avait déjà entendu parler. Dans le milieu, on l'appelait « le Bouddha du couloir de la mort », ou le « patron des condamnés ». Il allait enfin le voir. Certains en rêvaient, et il connaissait même un type qui se l'était fait graver sur le dos, espérant ainsi ne jamais le rencontrer... pour finir, ironie du sort, condamné à la peine capitale. Il était mort il y avait de ça une dizaine d'années, et tout le monde racontait son histoire d'un ton à la fois effrayé et édifiant.

Pourtant, Hide fut presque déçu en apercevant la statue. Elle était de petite taille, d'un blanc passé et d'un design générique. Rien à voir le bouddha géant de Kamakura ou celui du Tôdai-ji — que Hide n'avait jamais vu, d'ailleurs. Soudain, dans cette chambre confinée et toute blanche, il fut saisi du regret de tout ce qu'il n'avait pas fait. Il s'était rendu compte, depuis qu'il était avec Lola, qu'il ne connaissait presque rien de son pays, le Japon. Il avait passé quasiment toute sa vie à Tokyo. Et le tiers dans une taule comme celle-là... quel gâchis, franchement ! Alors qu'il aurait pu voyager, voir le monde. En joignant les mains devant le bouddha des condamnés, Hide fit le vœu, pour sa prochaine incarnation, de pouvoir quitter son pays.

L'HÉRITIÈRE DU YAKUZA (sous contrat d'édition chez BLACK INK)Donde viven las historias. Descúbrelo ahora