Lola : la transaction

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Dans le taxi qui me conduisait à Roppongi, je passai en revue mon plan d'attaque. Je n'avais pas pu demander à Masa ou à Tsuyoshi de me conduire. Comment faire comprendre à ces hommes que je me rendais dans un cabaret rencontrer un autre homme, pour le bien du clan ? Surtout vêtue comme je l'étais. À part au club, Hide lui-même ne m'avait jamais vue comme ça. Je portais une robe bustier noir sous une veste en léopard, associés à une paire de stilettos. En revanche, j'avais abandonné le blond, et arborais des cheveux noirs comme la nuit. L'étoile du soir, ce serait Nastya, pas moi.

Je l'avais appelée quelques jours avant le rendez-vous, finalement avancé par Kinugasa. C'était une amie de mon ancienne collègue de la fac, Russe comme elle, mais qui au lieu de faire de brillantes études et d'épouser un fils de banquier, s'était épanouie dans le monde de la nuit. Je ne l'avais croisée qu'une ou deux fois, sans plus, mais on avait bien sympathisé. C'était une fille qui faisait beaucoup de sport, et courait la nuit dans Tokyo avec de la musique à fond dans les oreilles, lorsqu'elle ne travaillait pas.

Je me remémorai ma conversation avec elle.

— Tu veux que j'occupe ce type, c'est ça ?

— Oui. Mais je dois te dire quelque chose, Nastya : c'est un yakuza.

— Un yakuza ? C'est pas grave. J'en ai déjà eu comme clients. Tout ce qui compte, c'est de ne pas accepter de rendez-vous en dehors du boulot.

— Sauf que là, ce n'est pas n'importe quel yakuza : c'est le big boss du Yamaguchi-gumi. Il viendra incognito.

Nastya s'était tue. Mais elle avait tout de même accepté le deal. En échange de son aide, je lui payais des vacances à Paris. Drôle d'endroit pour se reposer, selon moi, mais c'était son choix.

Les grandes avenues sombres de ce début de soirée furent bientôt remplacées par les lumières criardes de Roppongi. À l'extérieur de la voiture évoluait toute une population bigarrée, parmi la plus diversifiée du Japon : immigrants venus d'Afrique et d'Amérique du Sud, qui alpaguaient les passants, touristes anglophones en recherche de sensations fortes et salary-men japonais déjà bourrés. Je détestais ce quartier et, depuis mes débuts dans ce pays, j'avais pris soin de l'éviter. À bien des égards, je le trouvais pire que Kabuki-chô.

Et, sans surprise, c'était le terrain de chasse favori du nouveau chef du Yamaguchi-gumi, Kinugasa. Celui que j'allais affronter ce soir. Allais-je réussir à lui tirer les vers du nez sans trop perdre mes plumes ?

— On est arrivés, m'avertit le taxi en s'arrêtant en bordure d'une avenue bondée. Le club Tantra.

Je jetai un dernier coup d'œil dans son rétro, surprise pendant un court instant par le reflet qu'il me renvoya. Deux yeux bleus sous une frange d'un noir de jais, un rouge à lèvres sombre comme une tache de sang, un bob court de maîtresse de donjon : c'était le nouveau look que je m'étais donné pour affronter le dragon. Et une robe noire sans manches, courte et moulante, qui laissait voir mes bras et mes épaules tatoués. Le chauffeur devait me prendre pour une entraîneuse, qui s'apprêtait à prendre son shift.

— Gardez la monnaie, murmurai-je en laissant trois billets de mille yens entre les deux sièges de devant.

Longue liane à la chevelure platine et aux talons plateforme, Nastya m'attendait devant le club Tantra.

— Salut, lui lançai-je en rangeant mes lunettes de soleil dans mon sac.

— Salut.

C'était une fille qui allait droit au but, et ne parlait pas beaucoup.

— T'es prête ?

L'HÉRITIÈRE DU YAKUZA (sous contrat d'édition chez BLACK INK)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant