SCUDERIA ADESSI - O POINTS

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Mon père est mort.

Mais je me porte bien, je m'en fiche. Je ne sais d'ailleurs pas pourquoi je me retrouve ici. J'ai pris ma décision hier en voyant qu'un vol était encore disponible pour Bologne. Pourtant, j'ai connu la date de ce rendez-vous il y a plus de deux semaines. J'ai eu beau faire comme si cela ne m'atteignait pas, je dois admettre que j'ai eu tort. Sinon, je ne serai pas là, assise dans un canapé qui doit valoir plus cher que ma baraque à attendre que l'on m'appelle. Je songe soudain à maman qui a toujours tenu à ce que je sache parler italien. Pour elle, il était évident que de vivre non loin de la frontière pouvait avoir des avantages à maîtriser la langue. Mais maintenant que je suis là, je me demande si son obstination n'avait pas un autre but. De toute façon, je ne sais même pas comment définir cet instant de ma vie. Le père biologique, la fille et l'héritage ? Ça sonne comme une version drama du bon, la brute et le truand. Je sais que je suis ici plus par curiosité qu'autre chose. L'homme que j'ai eu au téléphone il y a deux semaines, a dû répéter à trois reprises avant que je ne comprenne que je figurais dans le testament de ce père qui ne m'a jamais élevé. C'est stupide de sa part. Il ne me doit rien. Je ne lui ai rien pardonné non plus. Alors, bordel, pourquoi je suis venue !

Je mords l'intérieur de ma joue en m'en voulant. J'aurais mieux fait d'ignorer tout ça et de ne pas me laisser amadouer par le regard triste de ma mère. Elle a toujours eu plus d'espoir que moi. Pour ma part, j'ai fini par me faire une raison à mes dix ans. Mon père s'en fichait de moi et ce n'est pas la fois où il a débarqué comme une fleur qui a suffi à rétablir plus de vingt années d'absences. D'autant plus si c'était auprès de ma mère qu'il décidait de faire sa morale. Je me souviens encore de ces mots : « Je ne suis pas le seul responsable de cette séparation, ta mère en est la principale fautive ».

Encore un qui porte ses cojones qu'à moitié...

Tout ce qu'il a réussi à faire, c'est de me foutre en boule. D'accord, maman n'est pas un superbe exemple de droiture, mais elle au moins, elle était présente. Elle ne m'a pas abandonné. Alors peu importe leurs différends, ce n'était pas à moi de récupérer les pots cassés. Et il s'est foutu le doigt dans l'œil s'il avait pensé un seul instant que j'allais me retourner contre elle.

Jamais. C'est maman.

Et elle a toujours été là, contrairement à lui. En revanche, cet appel que j'ai eu du notaire quelques mois plus tard m'a troublé. Il m'annonçait que mon père était mort d'un cancer du pancréas. C'est horrible, mais ça ne m'a même pas atteint. J'ai songé à toutes les fois où j'aurais un jour un coup de fil comme celui-ci, puis plus les années passées, plus je me suis fait à cette idée que jamais je ne l'aurais. Encore une fois, je me suis plantée. Mon paternel savait très bien qui j'étais et il n'a pas bougé le petit doigt, sauf lorsqu'il a su qu'il était condamné.

Je prends une grande inspiration et chasse ces pensées de mon esprit. Il est, et ne restera qu'un connard qui a abandonné sa famille. Alors au fond, on peut bien m'annoncer que je vais toucher le pactole, ça ne m'égaie même pas. C'est comme si cet argent était sale. Je baisse d'ailleurs le menton et me cale un peu plus dans le fauteuil, hargneuse. Ça doit faire plus d'une demi-heure que j'attends. Je ne me sens pas à ma place dans cet endroit. La salle d'attente est décorée avec un chic qui me rebute. Tapis tissés finement, tableaux d'artistes accrochés aux murs et rideau en velours, me donnent plus l'impression de rendre une visite à Al Pacino, parrain de la mafia, qu'à un notable italien. Cela dit, il faut leur laisser ce goût du luxe.

Par réflexe, je tourne la tête lorsqu'une porte s'ouvre dans le couloir. Des talons claquent sur le parquet, suivis d'un grincement de pas. La jeune femme à l'accueil que j'ai fini par classer dans la secte Kardashian s'exprime, indiquant, je crois, la salle où je me trouve. Les pas viennent dans ma direction, puis un couple entre comme si le monde leur appartenait. Une dame d'un certain âge, enveloppée dans une fourrure jette un bref regard dans ma direction. Un homme la suit, plus jeune, la trentaine peut-être, et tiré à quatre épingles. Son parfum embaume aussitôt la pièce, me faisant retrousser le nez de dégoût. Ils s'installent tous les deux dans un canapé en face du mien. J'ai le droit à un sourire chaleureux de sa part, mais elle, elle me toise avec un léger mépris tout en fixant mon jeans. Je baisse mon menton et remarque une tâche de graisse noire.

POLE POSITIONWhere stories live. Discover now