𝓒𝓱𝓪𝓹𝓲𝓽𝓻𝓮 8

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Je marche un peu, sur les rebords des trottoirs comme si j'étais équilibriste. Ou alors Indiana Jones, et le monde entier est ma mission. Une pirate qui navigue sur la violente houle de la vie, comme le fait Johnny Depp. Quoique, entre sa peau mate et ses cheveux sombres, je sais que c'est plutôt Lucifer qui pourrait avoir ce rôle entre nous deux. En plus, c'est lui qui passe son temps à tomber, pas moi. Je profite du temps froid mais pas gelé que la nuit reflète. Bon, ça n'empêche pas que le froid me fait un peu mal à mes doigts nus, serrés contre les hanses de mon sac. Tout est calme. Le souffle des ailes d'Icare vient remuer les épais feuillages des buissons et arbres, sombres comme l'antre d'une grotte de cyclope. La lueur des lampadaires projette des ombres inquiétantes aux intersections des rues, et celles-ci remuent un peu, faute aux chats errants qui se disputent pour un bout de carton sur les poubelles en métal. La pluie poisseuse se glisse au travers de mes vêtements, se colle à ma peau et ronge mon moral comme de l'acide, qui se détériore petit à petit, jusqu'à me laisser que ce goût amer de mauvaise humeur qui est une vraie plaie pour les autres. Les nuages lourds et gris pèsent le ciel et viennent alors au plus bas, cachant la lune et ses merveilles. Ainsi, plus une étoile pour me tenir compagnie, plus un reflet de lueur blanche dans les flaques désagréables qui trempent un peu plus mon pantalon à chaque fois que je ne les vois plus. Un aboiement me fait sursauter, et un frisson vient couler du haut de ma nuque jusqu'à la pointe de mes bras. J'accélère. Je n'ai pas peur de la nuit. Mais les chiens...

Sans surprise, la façade de ma maison ne m'apporte aucun réconfort. La place vide qui remplace la voiture de mes parents habituellement garée là m'achève. J'hésite même à faire demi-tour, pour aller chercher réconfort ailleurs. Chez Lucas, peut-être, même si maintenant j'ai un doute sur sa localisation. Mais en me retournant, je ne vois qu'une route sombre, comme une bouche béante prête à m'avaler, m'oublier, me faire disparaître. Et si le chien qui vient d'aboyer se cache par-là ? Je secoue la tête, et prend mon courage à deux mains. Il ne s'échappera pas. Il n'ira nulle part, il reste ici, avec moi. Je me glisse comme l'ombre d'un chat sous le pavillon, et sort mes clefs difficilement, ne sentant plus mes doigts. Pourtant, j'y arrive, peut-être parce que je sais que je serais plus en sécurité à l'intérieur qu'ici, dans une rue pluvieuse, sombre et malodorante, infesté de canidés assoiffés de sang. Bon, d'accord, un canidé, et je crois que c'est un caniche, mais il paraît qu'il a arraché la lèvre d'un type. Je m'engouffre dans la maison, et claque la porte plus que ne la referme, tournant les clefs dans la serrure bien deux fois. Qui aurait pu savoir que le danger n'était pas dehors, mais là en moi ?

J'allume toutes les lumières et, enfin, respire. Je vois tout, j'entends tout. La porte est fermée, je suis en sécurité. Je pense. Je lâche mon sac, retire bien vite mes chaussures et hôte enfin ce blouson trop serré et trempé, qui n'a même pas le mérite de me garder au chaud. Il ne sert à rien, et m'a juste mis en rogne. Je marche vers la salle de bain, tourne l'eau chaude, et me glisse bien vite dessous.

J'en sors, une serviette sur mes cheveux trempés, et me perd dans la cuisine. Un mot de ma mère, aussi propre que tout ce qui se trouve dans cette maison, voir trop, m'informe qu'il y a une salade de tomates dans le frigo. Elle ne précise pas qu'elles ne sont pas mûres, mais je ne peux m'empêcher de l'ajouter à sa note. Je le repose sur la table, et monte m'habiller de vêtements propres, secs, et chauds. Je m'assois sur mon lit, mon téléphone dans les mains, et commence à regarder ce qu'il se passe dans le monde, sans grand sourire à la vue des horreurs. Les informations me noient, toutes différentes, toutes dans des pages pop-up suivie d'illustrations, photos et vidéos : « L'incroyable tenue de la jeune artiste renverse les journalistes » « comment perdre des kilos facilement » « une petite fille de 10 ans retrouvée morte au bord de la route » « la nouvelle crème anti-rides miracles » et j'en passe. Agressée par ça et la luminosité de mon téléphone bien trop grande, je le jette écran à plat sur la couverture, me lève et quitte ma chambre.

ꈤꍟꂵꍟꌗꀤꌗWhere stories live. Discover now