𝓒𝓱𝓪𝓹𝓲𝓽𝓻𝓮 15

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Je trottine à la suite d'Oromë qui avance d'un pas vif mais enthousiaste, observant chaque battement d'aile de papillon qu'elle voyait. Une odeur familière de sel commençait à parvenir à mes narines, tandis qu'un vent tiède secouait mes cheveux, pourtant déjà peu coiffés. Un bruit lointain, grave et répétitif comme un raclement de gorge se laissa entendre, tandis qu'un sourire s'incrustait sur mes lèvres.

« C'est la mer qu'on entend ? »

Elle rit doucement, en hochant la tête. Je me mets alors à courir, prise d'une impatience soudaine, et gravis la petite montée qui osait me faire face. La hauteur me permet de contempler dans l'ensemble le petit village qui s'agite en contre-bas, s'étalant sur l'eau, baignant dans l'écume. Des petites maisons, de tailles et de couleurs différentes, sont bâties sur des petits pilotis, qui trempent dans l'eau, soutenant des passerelles pour y accéder, comme des couloirs. Ces mêmes ponts s'avancent un peu plus loin dans la mer, pour faire office de port aux voiliers qui flottaient sur les vagues un peu agitées. Entre les rues sableuses, de grandes allées de marchands se disputaient pour un centimètre de place, criait où se trouvait les meilleurs fruits et légumes, meilleures viandes, pâtisseries, vêtements, et j'en passe. L'ambiance globale était faite de rire et de cri. Oromë semblait se régaler de mon air enthousiaste, et sorti une fine corde rouge qu'elle accrocha de mon poignet jusqu'au sien.

« Hop. Comme ça, on ne peut plus se perdre. »

C'était une idée plutôt ingénieuse. On descendit la petite descente, et nos corps s'emmêlèrent bien vite à ceux de la foule affamée de notre -ou plutôt son- argent. Des enfants, comme hybridés, circulaient avec simplicité entre les jambes des marchands. Certains avaient des oreilles de renards, pointues et relevées avec malice, d'autre une queue de lézard, qui rampait contre le sol, rugueuse et sèche comme un désert mais brillante de par ses écailles, comme des pierres polies. Dire que je suis fascinée serait un euphémisme. Un enfant, avec deux ailes d'oiseaux, les étire un peu trop et renverse des bocaux en argiles, qui contenait des pigments comme je n'en avais jamais vu. Ils s'envolent très vite, pour se répandre sur les passants aux alentours. Oromë, moi, les enfants, les marchands, un chat qui passait par là, et quelques scarabées. L'allée se retrouve colorée de rouge, de vert, de jaune, de bleu, de rose et de violet, et nous, tâchées de cette poudre collante, nous rions. Il faut admettre que la situation est plutôt humoristique. Le garçon, ses ailes autrefois blanches maintenant multicolores, grimace, à priori craignant de se faire enguirlander, passe derrière moi et s'enfuit très loin, encadré par ses amis. Oromë explose de rire :

« Bienvenue en ville ! »

Certes, mais leur ville. La mienne, celle d'où je viens, n'est pas faite d'erreur maladroite, de rire et d'amusement, de cri mais de bienveillance. Non, ma ville est cruelle et malodorante, vulgaire et sale, vicieuse et méchante. Ma ville n'a ni couleur, ni marché, mais des murs ternes et des gens aigris. La mer est presque noire, le ciel est triste, le tonnerre gronde, le froid mord. Là-bas, les chiens sont menaçants, personne ne se connait mais tout le monde se déteste, un retard créer une bagarre. Cette ville, juste ici, qui m'entoure et me console des tristes choses que j'ai pu voir ailleurs, est joyeuse et énergique. J'aime cette ville, brillante par sa population, lumineuse comme son soleil.

Je prends l'initiative de retirer mes chaussures, pour faire quelques pas dans le sable. Le fil rouge qui me relie à Oromë ne se tend pas. Je comprends vite pourquoi, puisqu'en me retournant, je la vois me suivre, m'imitant avec un peu plus de manière. Elle me fait un petit sourire maladroit alors qu'elle manque de tomber, et fini par me rejoindre, juste là, à mes côtés. Et puis, les lèvres relevées en une expression joueuse, elle défait nos deux poignets et court vers l'eau, en s'écriant :

« La dernière à l'eau est une Varcelle ! »

Je me retiens de dire que je trouve cette créature particulièrement attachante, et qu'en être une ne me dérangerai sous aucun point, et décide de jouer le jeu pour lui courir après, à la poursuite de l'eau, qui, en une vague cristalline, vient s'échouer à nos pieds, venant à notre rencontre, léchant nos mollets de son écume d'un blanc parfait. Les rayons de soleil se reflètent sur elle, m'aveuglant presque. Je ne peux m'empêcher de sourire. Oromë est la première à être toute entière sous l'eau, et j'en conclu que je suis une Varcelle -non sans joie. Je la rejoins tout de même, dans une course certes ridicule car ralentie par les vagues, mais joyeuse comme un chiot.

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