𝓒𝓱𝓪𝓹𝓲𝓽𝓻𝓮 18

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A peine debout, Oromë me saute presque dessus. Elle allait mieux que la veille, probablement grâce à Aeglos qui ne l'avait pas lâchée jusqu'à ce qu'elle retrouve un sourire sincère. La voir paniquée était peut-être une des choses les plus tristes que j'ai vu.

« Bon, et bien on va aller en ville !

-La même qu'hier ? »

Je demande, pas si pressée, prenant mon temps. Le soleil brille de nouveau, Lacerta est partie, elle et ses grondements. Elle et ses éclairs de rage. Les Varselles courent de nouveau dans le champ, et je vois Bulbe essayer de s'introduire dans la maison. D'ailleurs, il y arrive. Bien vite, il se met à courir sous la table, comprenant parfaitement qu'il n'a pas le droit de venir.

« Non, une différente, plus loin.

-On y va à pied ?

-Non, on va d'abord retourner à Solkyenäm, ils ont des ponts de téléportation. »

Sa phrase ne me choque même plus. Je me surprends juste à penser que tant que ça ne finit pas comme dans Harry Potter, tout va bien : Une mauvaise formule, qui m'emmène dans une rue sombre et lugubre, pleine de mauvais sorcier. Si sorcier existe ici, mais j'ai l'impression que ce ne serait vraiment pas la chose la plus étrange que j'ai vu. Aeglos apparaît par la porte d'entrée, de nouveau ouverte, et me salue avec un immense sourire, auquel j'essaye de répondre, avec moins d'élégance je le crains. Il porte un panier en osier, et retourne dans la cuisine pour le remplir de, je suppose, nourriture, et revient.

« Tu es prête ? »

Je hoche la tête, ravie de voir que, pour une fois, il nous accompagne.

« Attend, non. On a dit qu'il valait mieux qu'elle se cache un peu... »

Oromë part fouiller dans une sorte de vieux coffre, sortant une petite cape d'un joli marron, châtaigne, tirant sur le noisette, et le pose sur mes épaules, tirant sur la capuche pour me cacher un peu.

« Voilà. Et on va refaire la technique du fil, ça peut être plus dangereux que le marché. Mais bon, pas de suite, on n'y est même pas encore... ! »

Elle sort en premier, Aeglos en dernier. Il ne referme pas la porte, à ma grande surprise.

« Mais vous ne fermez jamais ?

-Non, pas besoins. Personne ne vient par ici. Et puis, en plus, on n'est pas particulièrement riche, il n'y a rien à voler. »

J'écarquille les yeux. De tout ce qu'il pourrait dire, ça, ça dépense mes attentes. Je me sens soudainement ridiculement pauvre. Il sourit, et reprend :

« Pour notre monde, notre maison ce n'est pas grand-chose. Mais je veux bien croire que ce soit impressionnant pour toi, tu n'y es pas habituée... »

Je hoche la tête, simplement, avant de froncer les sourcils :

« Comment est-ce que vous pouvez connaître mon monde ?

-Parce qu'on a des cours sur vous, en primaire. Sur beaucoup de monde en fait, y compris ceux des elfes, des orcs, des gobelins...

-Des Golems.

-Des Hybrides aussi.

-C'est des mondes différents ? »

Oromë grimaça.

« Pas vraiment, non. Sauf le vôtre. Votre monde, c'est le plus éloigné, et celui qui a le moins de lien avec le nôtre. Nos mondes se complètent, se continuent, mais ils ne se croisent jamais non plus vraiment. Sauf dans ton cas, mais je n'ai aucune explication à ce qu'il t'arrive. Les autres mondes, par contre, ne sont qu'une extension de celui-là. C'est un peu comme si ici, c'était un plateau de jeu, et que les autres mondes, les autres peuples, c'étaient les pions. L'un ne peut pas vivre sans l'autre. Mais si deux pions disparaissent, c'est moins grave que si c'est le plateau qui s'en va. »

Je réfléchis quelques instants. Ça d'accord, mais pour la personne qui a grandi dans son monde, son plateau c'est là où elle a grandi ? S'il explose, par exemple, ça veut dire qu'un monde est détruit, donc un plateau de jeu ?

« Mais si les mondes des Hybrides par exemple meurt, en soit c'est super grave. Non ?

-C'est compliqué Astal. En fait, ce n'est pas vraiment un monde, c'est un peuple à part. On a que deux mondes en soit : Le nôtre, et le vôtre. Mais on appelle un monde une partie d'ici occupée par un peuple, au point qu'il n'est plus apte à la survie d'une autre espèce.

-Je ne suis pas sûr de comprendre.

-C'est normal. Je t'expliquerai avec des exemples quand on retournera à la maison. »

Je hoche la tête.

« Mais entre espèce, vous vous entendez bien ?

-Bien sûr ! Regarde, je suis une elfe, et la mère d'Aeglos est une orc. Ça ne nous a pas empêchés d'être marié ! Bon, du coup il fait juste trois têtes de plus que moi, mais ça mis à part, on se ressemble beaucoup ! »

En soit, non, ils ne se ressemblent pas. Pas du tout même. Mais, étrangement, ils vont bien ensemble. Je souris.

« Donc il n'y a jamais eu de guerre ?

-Si plein. On est à combien, six ?

-Huit. »

Aeglos se tourne vers moi, sûr de lui.

« Il y a eu huit guerres entre nous. Elfes et Orcs, Orcs et Hybrides, Hybrides et Golems, Golems et Elfes...Il y a plein d'autres espèces, mais tu les rencontreras sûrement tout à l'heure. De toutes façons, les plus importantes c'est ces quatre-là, et les Mages. Après, il y a beaucoup de variantes. Oromë m'a dit que tu avais vu un Eclipseur ?

-Oui.

-Et bien c'est dans la catégorie des Mages. Les tritons ou les sirènes sont dans les Hybrides, etc. »

Oui, effectivement, ça a du sens. C'est compliqué, mais sensé.

« Il y a des guerres qui durent toujours ?

-Oui, les Hybrides avec les Golems. Certains Mages se sont alliés aux Golems, c'est de là que viennent les Eclipseurs.

-Et est-ce qu'il y a des guerres qui ne sont pas loin d'éclater ? »

Oromë me sourit, passant sa main sur mon épaule.

« Tu es pleine de questions, hein ? Oui, les Elfes et le Peuple. Le Peuple, c'est ceux qui n'ont pas de don, pas de distinctions particulières. Ils se jettent des menaces depuis quelques années, et ça risque de bientôt partir.

-...En fait, ce monde est beau en apparence, mais quand on creuse, il ressemble beaucoup au mien. »

Pas un mot ne sorti de plus. Je venais de jeter le voile, la sentence, la morale de cet acte théâtral. Le silence venait d'applaudir de ses grandes mains sombres de vides, et plus personne ne pouvait ajouter quelque chose. Oromë prit son courage en face d'elle pour se racler la gorge, essayant de rendre les couleurs à la scène.

« Certes, mais il reste très beau ! Et puis, après l'orage vient le beau temps, non ? Même si une guerre éclate, aussi bien ça annonce une entraide future ! Il ne faut pas dramatiser. »

Aeglos se força à sourire aussi, et ne voulant pas casser ce moment un peu pathétique certes, mais malgré tout optimiste, je me surpris à me forcer aussi. Peut-être parce qu'elle avait un peu raison ? Après l'orage venait le beau temps. Mais cette phrase était vaste : L'orage pouvait aussi bien durant trois ans, le beau temps une semaine. Elle glissa sa main dans celle d'Aeglos. Je priais juste pour ne pas les voir en victime collatérale.

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