𝓛𝓾𝓬𝓪𝓼

3 0 0
                                    

Mes pas sont silencieux comme ceux d'une ombre dans la noirceur de la ruelle. Un goutte-à-goutte régulier résonne contre les murs, sans que j'analyse d'où est-ce qu'il provient. Je me dirige vers une direction, pensant vaguement que c'est la bonne. Et je pense que mon sens de l'orientation est meilleur que ce que je ne pense, parce que, bien vite, je l'entends plus fort, plus présent. Je me rapproche. La ruelle n'a pas de fin, c'est comme un immense labyrinthe où peu importe ma direction je retourne sur mes pas. Mais ce bruit de goutte, peut-être qu'il me mènera à une sortie ? Je me retourne sur moi-même plusieurs fois, observant le moindre détail qui ferait que ce chemin est différent des dizaines autres que j'ai empruntées. Mais rien. Une brique qui manque à l'appel, simplement, au milieu du mur. Tout le reste est identique, comme si cet endroit n'était qu'une copie de lui-même. Ce qui est le cas, et je m'en rends compte lorsqu'un dessin, étrange et fait avec une matière semblable à du sang réapparait sous mes yeux pour la vingtième. Je manque de crier, de m'effondrer, perdu dans ma propre imagination.

Et puis, je l'entends, ruisselant, épais, dans un cri presque gras, visqueux, collant. C'est ce même goutte à goutte d'il y a quelques secondes, mais plus fort, plus près, plus vulgaire. Il semble m'appeler, mais me rejette en même temps, c'est étrange, ça n'a pas de sens. Mes sourcils se froncent, tandis que je passe un croisement, tournant à gauche, honnêtement au hasard. Le bruit est là, sous mes yeux, sous forme matériel. Plus qu'un son, il est devenu quelqu'un, quelque chose. Je vois du bruit. Large, et grand, d'un gris presque noir, transperce par des traits blancs, comme des flèches qui le traversent. Il semble se froisser, puis revenir à sa forme initiale -enfin, je crois ? Mais il n'est plus vraiment pareil. Je sais qu'il m'a vu, qu'il m'en veut, que je ne devrai pas être ici, sur ce territoire qui m'est inconnu, qui lui ai familier. Je recule. Il disparaît durant une petite seconde, revient plus proche dans le même son de goutte que celui qu'il émet depuis de longues secondes. Je me retourne, et m'enfuis. Dans la réalité, je fuis le bruit. Ici, c'est le bruit qui me chasse.

Est-ce que c'est normal ? Non, bien sûr que non. Je me rappelle des mots d'Emy lorsqu'on était dans le noir complet : Un cauchemar. On est juste dans un cauchemar, réaliste peut-être, mais faux. Qu'il y ai des choses sans queue ni tête fait parti du déroulement de ce rêve, je ne suis donc pas plus étonné que ça. Je sens mon cœur accélérer mais je ne suis pas à bout de souffle, même après de longues secondes de course rapide, et c'est étrangement satisfaisant. Au loin, je vois une lumière un peu plus vive, et m'y dirige, pour enfin sortir de ces murs étroits qui semblent me poursuivre.

Je déboule hors de la ruelle, manquant de renverser quelqu'un. Je ne me concentre pas plus que ça sur cet incident, occupé à observer les alentours. De grandes façades de maisons se superpose, toutes bâties comme dans les temps médiévaux. En fait, les allées ne sont pas assez grandes pour accueillir toutes les habitations, et de se fait elles s'assemblent, de longs en large comme des lego, et des ponts passe par-dessus. Une masse de nuage dort, étrangement basse, comme pour empêcher les gens de voir un jour briller le soleil. Ça cri, ça rit, ça s'agite. Un marché ambulant prend toute l'allée, quelques mètres plus bas, et se dirige vers ici. Je vois les passants m'arracher le visage à chaque coup d'œil, malveillant et curieux, et je me demande pourquoi ils me regardent comme un étranger alors que nous avons la même apparence.

Des flaques sur le sol me prouve le contraire. J'observe mon reflet et les différences. Mes cheveux noirs sont étrangement longs, tombant sur mes épaules, cachant mon visage. Mes yeux sont d'un vert presque brillant, et mes pupilles sont fines comme celles d'un serpent. Je fronce les sourcils et recule, comme si ne plus me voir dans ce reflet allait changer quelque chose à ma situation. Evidemment, non, et les gens continuent de me dévisager comme un pestiféré. L'un glisse quelque chose à mon sujet. Celui qui reçoit le chuchotement recule un peu et disparait dans la ruelle derrière lui, sachant mieux se repérer que moi. Je me sens comme une souris entre les griffes des chats. Je n'ai rien à faire ici, et je ne sais pas comment m'en sortir, mais je sais que j'ai besoin d'aide et que ça ne peut pas bien finir. Pour m'achever, l'homme revient, encadré par trois personnes, encapuchonnées, aux regards rouges de haine, pointé dans ma direction. Je recule, ils avancent, je me retourne, ils approchent, je cours, ils me poursuivent. Je sais que je n'ai aucune chance, ils sont bien plus grands, plus vifs, plus rapides, plus rusés. Je suis sur un territoire inconnu, ils se déplacent comme un roi sur une jeu d'échec. Je manque de crier lorsqu'une main attrape mon bras et me tire en arrière, d'une étonnante violence blanche. Comme innocente, comme pure, comme bienveillante. Une deuxième main se plaque contre ma bouche, deux mots se plantent dans un murmure dans mes oreilles :

« Bouge pas »

Collé contre un mur poisseux et sale, même mon souffle ne se fait pas entendre. Je ne sais pas si derrière se trouve une autre souris ou un énième chat. Je ne veux même pas me retourner, finalement je ne veux pas savoir. La main ne part pas, mais les soldats, si. J'essaye de me débattre. La personne rabat une capuche sur ma tête, et me souffle :

« viens »

Je tourne les yeux vers lui. Il ne pense quand même pas que je vais le suivre ? Il me jette un regard, et ricane. Une rangée de dents plus nombreuses que la norme -ou du moins, ma norme- apparaissent, sortant obscènement de ses lèvres.

« Ou alors tu restes et tu te débrouille dans un endroit où les esclaves sont autorisés, c'est évidemment comme tu préfères. »

Qu'est-ce qui me prouve qu'il n'est pas lui-même vendeur d'esclave ? Rien. Je baisse les yeux, croisant son reflet dans une flaque qui inondait les pavés. Qu'est-ce que je perds ? Je regarde derrière moi, me retourne et le suit. Il passe sa main dans mes cheveux, de manière étrangement fraternelle, et passe son chemin, moi donc sur ses talons. C'est presque ridicule, comme un chien qui vient de se faire abandonner, mais qui se décide à tendre la patte, de nouveau. La flaque d'eau me nargue, me montre un cabot errant, aux yeux blancs vides, d'où dégouline un mal être évident mais qui pourtant semble sourire comme s'il avait encore confiance en sa misère. Je ne sais plus si j'imagine mon reflet où si ce rêve le reflète. Peu importe, au final, non ? Le chien suit le loup. J'espère trouver ma meute.

ꈤꍟꂵꍟꌗꀤꌗOù les histoires vivent. Découvrez maintenant