𝓒𝓱𝓪𝓹𝓲𝓽𝓻𝓮 30

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L'aube laissait en son ventre des dernières jetées d'étoiles, tâchant le ciel de grains de lumières, mélangés aux couleurs changeantes des rayons de soleil qui se laissaient apparaitre, tel que du rose, du jaune, du bleu et du turquoise. Je me sens presque immédiatement minuscule, coincée et pourtant libre dans toute cette immensité qu'est ce monde, ce paysage, cet endroit. Mes yeux quittent le ciel pour se poser au niveau de mes pieds, afin d'observer tout de même là où je marche et d'éviter d'écraser une créature étrange regorgeante de mystères. Je ne vois aucun animal de la sorte, mais un petit sentier d'herbes pliées en deux, comme si quelque chose était passé par là. Probablement que dans mon monde, j'aurais fait demi-tour, je me serais éloignée. Mais ici, non, parce que je me souviens des mots d'Aeglos quant au fait que des créatures dangereuses, ici, dans cette plaine, il n'y en avait pas. Ou avait-il dit presque pas ? Je ne sais plus.

Toujours est-il que je quitte l'herbe fraîche pour suivre ce petit sentier à la découverte de ce qui se cache au bout. Aussi bien, rien, et il s'agit juste d'un passage d'Oromë, vieux de quelques jours, ou de quelques heures. Une curiosité et peut-être une légère montée d'adrénaline me pousse à presser le pas, suivant avec minutie chaque tournant, m'éloignant petit à petit de la maison pour me rapprocher des montagnes.

Le chemin part dans le creux de ces géants de terre et de roche, parsemés de forêts. Il serpente entre, et en passant derrière une petite colline, comme un enfant montagne par encore adolescent, je remarque que la plaine n'est pas loin de s'arrêter. Elle continue un peu, puis se finit en plongeant net dans le vide, le bas mangé par des vagues voraces qui se jettent sans cesse sur les pics de roches, sûrement pour les faire lâcher. Mais il semblerait que plus le temps passe, plus elles les aiguisent, comme une mâchoire de monstre qui se limerait les dents afin d'engloutir plus facilement une proie tombée de son nid.

Le chemin s'arrête en même temps que la falaise. Du moins, c'est ce que je crois, mais en m'approchant pour avoir le vent salé du mistral dans mes cheveux, je remarque que la falaise a comme une plateforme, qui s'enfonce dans la roche. Je ne le vois pas de là où je suis, mais je devine assez facilement une grotte, ou une cavité. J'hésite, jette un regard en arrière, mais la colline et les montagnes me cachent la vue de la maison retirant toute notion de distance. Ceci dit, je suis là, ce serait bête de faire demi-tour, si proche du but...

Je prends une grande inspiration, me penche tout au bord, et entreprend la descente. Les vagues rugissent, plusieurs mètres plus bas, se tordant d'impatience à l'idée de me voir tomber. Et plus je descends, plus je sens leur goût salé dans ma bouche, comme si j'y étais déjà. Elles ne semblent pas froides, juste agitées, méchantes. La roche, sous mes pieds et mes mains, est froide, glissante, mais elle ne me fait pas tomber et ne me joue pas de mauvais tour. Bonne joueuse, une fois accrochée, elle me laisse accrochée. Je ne sais pas si je devrai m'en réjouir, réflexion faite, car peut-être qu'elle me laisse descendre parce qu'elle sait quelle chose se cache en son entre ? Alors, voulant me voir être dévorée aussi mais pas par l'agitation de l'eau salée en bas, ou par sa propre mâchoire aiguisée, mais bien par un monstre qui dormirait en son cœur -ou en son corps. Mon souffle, saccadé car peu sûr de moi, ne se fait plus entendre tant la mer rugit. Sur les derniers centimètres, je lâche la pierre pour atterrir sur la suite de la petite plaine.

L'herbe, aussi vive qu'au-dessus mais plus écrasée, accueille mon corps avec douceur. Un vent presque froid s'échappe de la cavité pour venir gronder dans mes oreilles, faisant trembler doucement toute mon âme. C'est bête, mais je réalise alors ce qu'est le froid, ressenti que je n'avais pas eu depuis plusieurs jours déjà. Depuis mon arrivé. Il vient, comme un poignard de nostalgie, me retourner l'esprit afin de me rappeler que c'est un sentiment bien plus proche de moi que le reste. Je suis née dans le froid, j'ai grandi dans le froid, j'ai évolué dans le froid. La relation avec mes parents était froide, les journées mon collège étaient froides, ma vie était froide. Finalement, mes seuls moments de chaleurs étaient avec Lucifer.

Je finis par secouer la tête, et m'approche de l'entrée à pas de loup, guettant le moindre mouvement inhabituel. Mais rien. Du moins, à première vue. Seulement, plus je m'enfonce dans la grotte, plus mes yeux s'habituent aux ténèbres, et je distingue ainsi ce qui m'entoure. L'herbe s'arrête à peine à l'entrée, et le reste du sol n'est que de la terre, humide. Une odeur de mousse en sort pour emplir mon nez, ainsi que des traces d'humidité. Un peu de brûler aussi, ce qui m'interroge sur ce qui se trouve à l'intérieur. Mon cœur rate un battement alors que la possibilité de tomber face à un dragon me traverse l'esprit. J'essaye de relativise en m'avançant encore un peu, me retrouvant de plus en plus entourée par de la pierre et des stalactites. Des gouttes d'eau tombent, faisant des « plic-ploc » réguliers, et assez apaisant. Finalement, une forme, là, au milieu. Comme allongée, sans vraiment savoir si elle est sur le dos, le ventre ou le côté, elle semble dormir, gonfle, soupire, grogne doucement dans un ronronnement félin. Ce n'est pas gigantesque, mais de la taille d'un grand chien, peut-être même un peu plus. Réalisant que je dérange peut-être, je commence à reculer pour l'observer avec plus de distance. Je fais un pas, et tape dans un caillou qui va rouler jusque sur l'herbe.

La chose derrière moi fait un bruit étrange, et je la sens s'étirer dans mon dos, se réveiller, se redresser. Je recule de plus en plus pour retourner dans la lumière, tandis qu'elle s'avance. Petit à petit, les rayons encore chauds du soleil l'éclairent, et ma bouche s'ouvre en un demi-cercle, sans qu'aucun son n'en sorte.

La créature est reptilienne, comme un grand lézard, plus grand qu'un chien. Sa tête, cependant, a des airs de ressemblances avec celles d'un félin, par les yeux, les moustaches et la mâchoire. Deux larges cornes de bouque dépassent de son crâne, au-dessus de ses oreilles de chat. Elles tournent et tombes pour encadrer son visage, un peu court. Une longue queue vient fouette la terre, proche de ses pattes avant. Elle redresse la tête, me fixant avec un regard perçant, avant de s'approcher doucement pour me renifler, cherchant sûrement à savoir si elle me connait ou non. Finalement, elle relève la tête, et pousse un coassement de corbeau, mêlé à un rugissement de panthère ou de tigre. Elle se met debout sur ses pattes arrière, me dépassant largement, et je recule brutalement. Mes pieds s'emmêlent, je tombe, et ça semble l'énerver particulièrement. Persuadée que c'est là que se finit mon voyage, je me recroqueville en protégeant ma tête, mais une exclamation se fait entendre, assez proche.

« Hey ! Recule ! Méchant Zodiaque ! Recule ! »

Perplexe et curieuse malgré ma mort qui rôde, j'entre-ouvre les yeux. Un garçon fait de grands gestes en criant sur la créature qui, déçue, se remet sur ses quatre pattes et commence à reculer, les oreilles couchées.

« Aller ! Retourne dans la grotte ! »

Elle pousse un faible grognement de protestation, et le garçon semble outré.

« Non ! Tu fais ce que je te dis ! »

Elle finit par tourner les talons, et retourne se coucher. Les ténèbres l'avalent, et elle disparaît complètement, tapie contre la roche. Il se tourne vers moi, l'air méfiant. Il me tend d'abord une main, que je saisis avec un petit remerciement impressionné, puis fronce les sourcils en me fixant de haut en bas.

« Je...euh...

-Qui es-tu ? Une Eclipseuse ?

-Quoi ? Non ! »

Prise de court, je bégaye, essaye de me reprendre en main, échoue, et finit par soupirer.

« Excuse-moi. Je m'appelle Astal. Je suis une... »

Eveillé. Non, Oromë m'a dit qu'il valait mieux que je garde le secret. Je ravale ma salive.

« Touriste.. ? La nièce de ceux qui tiennent la ferme juste là-bas. Enfin, la ferme...

-Touriste, hein ? »

Un sourire malicieux vient frapper ses lèvres. Pourtant, il n'a pas l'air méchant. Juste méfiant, et peut-être un peu moqueur.

« Je m'appelle Adam. Et lui là, c'est Zodiaque. Un griffon.

-ça existe... ? »

C'est plutôt une question pour moi-même. D'ailleurs, ce n'est qu'un souffle. Mais un souffle qu'il entend, peut-être parce que le vent a transporté mes mots plus loin que ce que je ne voulais. Il hausse un sourcil, et je comprends que je viens de me trahir seule, comme une imbécile. 

ꈤꍟꂵꍟꌗꀤꌗWhere stories live. Discover now