Chapitre 13 : Un amour abyssal

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Apaisée par la fin de la manifestation et la décision de justice rendue en leur faveur,  l'esprit de Délia voguait dans des sentiments très profonds. Elle pensait à Anoki et ressentait une forte affection pour lui, qu'elle avait du mal à qualifier. Elle a toujours eu de grandes difficultés à aimer. Ce blocage était dû, après réflexion, à l'amour maternelle qu'elle n'a jamais eu et au manque d'affection de la part de son père qui était souvent absent.

Son cœur s'était souvent fermé même quand un élan venait frapper à sa porte. Son vécu l'a souvent freiné dans l'importance qu'elle donnait à sa vie sentimentale. Elle voulait s'offrir l'énergie nécessaire à sa force intérieure, pour combattre ce sentiment d'impuissance qui lui faisait tant défaut. Anoki, elle le trouvait beau, charismatique, intelligent avec une aura qui lui coupait le souffle.

Elle comparait l'amour à un poison, qui parfois pouvait tuer, souvent laissait des séquelles et la sincérité en était l'antidote. Mais l'entichement qu'elle ressentait jusqu'au plus profond d'elle, lui faisait une révélation : elle était amoureuse. Anoki hantait souvent ses pensées. Elle se réveillait et se couchait avec lui.

Elle décida de lui téléphoner car il lui manquait trop, mais aussi pour le rassurer. Quand elle entendit sa voix, son cœur vibra de bonheur. Elle l'informa de l'endroit où elle était, et lui expliqua brièvement la situation. Grande fut sa surprise, quand il lui annonça qu'il était déjà au courant. Sa désolation fut grande du fait de son absence à la manifestation, car il avait eu un empêchement d'une grande importance. Mais il suivait l'affaire de loin. Délia lui proposa de venir la rejoindre. Il accepta sa proposition, et lui indiqua qu'il pourrait être là sous une bonne heure.

Elle était impatiente et heureuse. Elle se projetait dans un flash-back de frissons et de perceptions qui dataient du collège. Après une très longue attente, des bruits de pas émanaient du couloir. L'approche du bruit saccadé la faisait balbutier ses propos. Elle n'avait pas eu le temps de demander qui était là, que le visage d'Anoki apparaissait dans son champ de vision. Elle explosa de joie. Elle essaya de se lever dans l'euphorie, mais la réalité l'a vite rattrapée.                                                                                                      
— Ne bouge pas Délia, je viens à toi. 

— Merci, comme tu le vois, je suis attachée et prisonnière de ma propre amie, ironisa-t-elle.

— Alors comment as-tu occupé ta journée ?

— J'ai voyagé un peu partout dans le monde spirituel et me suis remise en question sur ma propre vie.

— Passionnante, ta journée.

— Anoki, j'ai une révélation à te faire. Tu connais maintenant mon caractère, tu sais bien que je n'aime pas garder les choses en moi. Je suis la partisane de l'extériorisation des sentiments.

— Oui, oui, je t'ai bien cerné.

— Voilà, depuis le jour où je t'ai vu, tu es entré en moi. Je me couche avec toi dans mon cœur et je me lève avec toi dans ma tête. Ces sentiments que je ressens sont nouveau, je les ai pour toi et rien que pour toi. C'est toi qui as la clé de notre début d'histoire, que je souhaite avec toi.

— Là, Délia tu me mets dans l'embarras, je ne sais plus où me mettre.

— Eh bien, mets-toi à côté de moi, lança-t-elle d'un air taquin.

Anoki se rapprocha d'elle avec un regard figé, il cherchait ses mots, tant la situation semblait le déstabiliser. Mais il ne tarda pas à réagir à sa belle déclaration.

— Tu sais Délia, mes sentiments envers toi sont aussi semblables à l'amour que tu peux me porter. Mais dans la vie, des priorités s'imposent, et certaines nous pourrissent notre vie. Malgré ça, on suit cette voie, car on a des valeurs à respecter, on a des devoirs pour lesquels on est ici. 

— Je ne vois pas où tu veux en venir Anoki.

— Laisse-moi finir et tu vas comprendre. La religion est à double tranchant. Selon comment on veut l'interpréter, elle peut aussi bien attiser la haine qu'adoucir les peines. Mes parents font partis de ceux qui l'interprètent à l'ancienne. En gros, ils n'acceptent pas la mixité religieuse.
Ils sont anglicans très réserviste, ils n'accepteront jamais que je me marie avec une musulmane. Et chez nous, c'est culturel, on ne peut aller à l'encontre des parents sur certains choix importants de nos vies.

Délia était sonnée par ses propos, elle avait l'impression de tomber du haut d'une montagne. Un mélange de désenchantement et de rage venait se hisser au plus haut niveau. Avec le franc-parler qu'on lui connaissait, elle n'hésita pas à dire que ses parents étaient racistes, et qu'ils ne pouvaient remettre en cause sa conversion à l'islam. Mais Anoki rétorqua que ses parents ne sont pas racistes, mais qu'ils sont plutôt traditionalistes.
C'étaient malheureusement des coutumes immuables pour eux.

Mais insista sur le fait qu'il y a que les stupides qui ne changeaient pas. Ce problème de mixité sociale et religieuse n'était que la face cachée de l'iceberg. Car Anoki avait un autre souci d'ampleur et d'une autre dimension.

— Écoute, le matérialisme nous fait croire que notre existence est éternelle, heureusement que l'amour nous ramène à la réalité. L'amour que je pourrais t'en donner, surement un jour, je me dois de le garder, car la question ne peut pas se poser aujourd'hui. J'ai un chamboulement dans ma vie, un événement qui me prend tout mon temps. Je suis d'ailleurs désolé de ne pas avoir été disponible ces derniers temps.

Cet évènement, c'était un engagement, un combat qu'il devait affronter avec son frère Nadil. Il avait quinze ans, et cela faisait deux ans qu'il se battait contre la maladie de crohn, il en souffrait énormément. Il avait des d'abcès qui ont endommagé son intestin et son foie était aussi touché.
Au moment où il parlait son état était stabilisé, mais la rechute pouvait être fatale.

Cela faisait un an qu'il attendait une transplantation de l'intestin grêle qui était gravement endommagé. Mais les soins étaient onéreux, la transplantation ne coûtait pas moins d'un million de dollars. Anoki a remué ciel et terre pour trouver les fonds, il a démarché des associations, des entreprises, des acteurs locaux et même les voisins. Il avait même ouvert une cagnotte en ligne dont le compteur était déjà deux cent mille dollars.
C'était très bien, mais pas suffisant.

— Je suis vraiment désolé pour ton frère, ça doit être une dure épreuve pour toi.

— Je vais te faire une révélation qui fait mal à tout mon être. Il y a quelques jours, j'ai été approché par une personne qui se présentait comme un membre du gouvernement. Il m'a proposé une forte somme d'argent en échange de ta tête, un million de dollars exactement. J'avais juste à te livrer vivante. J'ai hésité un moment à le faire, car j'ai évidemment pensé à mon petit frère. Mais l'amour que j'ai pour toi était plus fort, je ne pouvais accepter.

— Merci de ta sincérité Anoki. Mais c'est normal de vouloir sauver son propre frère, c'est ta chair. Ne perdons pas un instant, allons-y. Appel le représentant du gouvernement et dis-lui que tu m'as capturé et que tu vas me livrer.

— Sauver mon frère au détriment d'une autre vie. Ce n'est pas ma morale, c'est hors de question.

— On n'a pas le choix, tu as une meilleure solution ? Ton frère, il souffre et risque sa vie à chaque seconde qui passe. Je me porte volontaire et c'est de mon propre
gré que j'assume les risques.

Un très long blanc verbal envouta la pièce. Anoki était déstabilisé par la proposition courageuse de Délia. Il réfléchissait pendant que son subconscient se battait avec sa conscience. Il finissait par faire gagner la raison. Il déclina sa proposition, et lui a fait comprendre qu'il trouverait une autre solution pour aider son frère.

— Tu dois te reposer, la nuit porte conseil. Je vais appeler Malika pour voir ce qu'elle fait. Je vais lui demander qu'elle vienne te détacher rapidement. Comme ça on ira
chez moi, tu seras plus en sécurité.

Elle approuva son discours d'un hochement de la tête. Il lui conseilla de ne pas courir après ce que le système nous a montré, car c'était une diversion pour mieux oublier ce qu'il nous a fait croire.

L'Enclume des sages : Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant