Autre chose que la mort

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-Alors, le Xog ! ? Nous diras-tu un jour ce qui s'est passé ! ?

  Les cheveux en désordre, tremblant et vacillant sous l'effet de l'expérience qu'ils venaient de vivre, l'Aversier avait encore assez d'énergie pour être furieux. Cordelia au contraire, semblait assoupie dans les bras de Freiwyl, qui ne valait guère mieux. Quant à Goupil, il regardait le ciel nocturne, où le Dragon était en train de voler, juste au-dessus d'eux.

  Le Titanide s'était envolé et ses ailes faites de lumière smaragdine emplissaient toute la voûte céleste. À la verticale de l'endroit où il se trouvait, le sorcier pouvait voir un tourbillon de ces volutes lumineuses prendre la forme d'un œil fixé sur lui.

  Était-il si présomptueux de croire que le Dragon du Sariola l'observait, lui le petit bâtard égaré ? Sans aucun doute, mais Goupil ne se fût détourné de ce regard immense pour rien au monde.

  Me vois-tu, ô Géant des terres de l'éternel hiver ? Me vois-tu, moi Aÿggil le Sorcier ? Celui que tu as guidé avec ses compagnons à travers les veines de ta terre, où coule ton sang fait de roche en fusion ? Toi qui es la terre, le vent et le feu du Sariola, pourquoi nous as-tu sauvés ?

  -Il est prostré, ou quoi ? ! s'emporta l'Aversier, dont les exclamations ne parvenaient pas à tirer Goupil de sa contemplation cosmique.

  -Calme-toi, Tillka, intervint Freiwyl. C'est un sorcier, tu te rappelles ? Il est encore sous le choc... ou sous le charme. C'est pareil pour les prêtres, chez moi. Il a dû faire appel à son pouvoir pour nous amener ici, et...

  -Son pouvoir ? De ce que je sais, son pouvoir était de faire naître du feu entre ses mains, pas de nous transformer en... en...

  En quoi ? L'Aversier l'ignorait. Il savait seulement qu'ils avaient repris leur vraie forme ici, en ce lieu perdu au milieu de nulle part. Tout autour d'eux s'étendait une terre faite d'un sable noir et rocailleux, sans arbre, sans arbuste, sans herbe ni même une touffe de lichen, mais surtout sans neige.

  Sous le ciel nocturne, éclairé par ces tourbillons de lumière couleur d'émeraude qui lui donnaient le vertige au point qu'il évitait de regarder vers le haut, on ne voyait que cette terre morte, interrompue par de hauts piliers de pierre noire qui s'élevaient vers le ciel, comme les griffes d'un dragon, justement ?

  Ils étaient manifestement dans une petite vallée, car l'horizon semblait tout proche. Le plus étonnant était la température du sol et de l'air ambiant : ils avaient chaud. Sans doute était-ce pour cela que la neige ne s'accumulait guère sur cette terre noire : tout au plus pouvait-on voir à l'entour des flaques d'eau tiède accumulée dans les dépressions du sol.

  Mais ce n'était pas cette terre plus noire que le ciel au-dessus d'eux qui l'effrayait. On ne gagnait pas le surnom de l'Aversier dans les bas-fonds de Severgorod, sans avoir fait preuve d'une certaine indifférence à la peur. L'Aversier était pour les Orgètes l'une de ces créatures appartenant au passé de leur pays. Comme le Diable dont parlaient encore les Adrians, c'était un ennemi du genre humain, qui se régalait tout particulièrement de la terreur que ses maléfices inspiraient aux petites gens.

  Les Orgètes donnaient ce genre de surnom à ceux qu'on ne voyait jamais trembler de peur, même face à l'une des répugnantes créatures qu'on voyait sous les arcades de l'Aqueduc des Sentinelles. C'était en affrontant l'un de ces monstres qu'il avait gagné ce surnom. L'Aversier ne s'émouvait pas aisément.

  Il ne tremblait pas à l'idée de crever de faim là, sur cette terre inconnue, entre les griffes du Dragon. Il tremblait à cause de ce que ce foutu sorcier bâtard leur avait fait subir, à lui, Freiwyl et la magicienne endormie. Goupil avait parlé de les jeter dans la gueule du Dragon, et c'était exactement ce qu'il avait ressenti. Avalé, digéré, transformé, puis recraché là, sans savoir ni pourquoi ni surtout comment.

Nos Enfers MulticoloresWhere stories live. Discover now