Errance par @Rosaniam

800 83 20
                                    

Il a fallut partir. Il y a toujours eu cet instant où on ne pouvait plus guère rester.

Figés les jours, l'instant gelé de silence, les perles grêles des pleurs sans nom. Tout offre des courbes droites, des mélodies aux accents coupants, des traits échappés comme des mèches folles. Glissement, valse immobile. La nuit suffoque.

J'ai regardé l'éternité. J'ai ancré mes iris noirs dans les siens, j'ai attendu.

Nous nous sommes affrontées du regard, si longtemps que le Temps est devenu elle.

Puis, quelque chose a basculé. Je suis redevenue mortelle ; la Mort a frôlé ma peau.

Elle a laissé sur mon corps son empreinte pourrie.

Tout chute...

L'offense muette des billes de verres brisées. Le linoléum bleu délavé, lassé d'existence. Les murs aux affiches désassorties qui construisent sans un mot une harmonie discordante. Les cris, brefs, qui s'envolent sans rien dire avec un chant chuchoté accroché aux lèvres. Les yeux suppliants, noirs, l'attente hurlante, l'ivresse frôlée au bord des larmes. Les soupirs tranquilles qui regardent par les portes closes le vent qui souffle et s'enfuit. Tout chute...

Inexorable, elle sourit.

J'ai fui son sourire, j'ai marché. Je ne savais pas où aller – qu'importe ! – il fallait partir.

Une main posée, douce et épuisée de vie, sur la pierre froide. Dans la neige du Temps, enfouie, blottie contre le Rien.

Néant.

Les plis flous des secondes qui se préparent à choir avec le tic-tac brisé-déchiré des engrenages rouillés.

J'avance, tout est détruit mais il faut encore avancer.

Les lignes qui dérivent, l'oraison bleue et un peu suppliante des étoiles.

Courir au milieu des gouffres, sentir nos jambes chancelantes et caresser les obscurités de nos ailes mortes.

Les voûtes cassées, le firmament offert, tout entier, dans son absurdité salie. Ses bras de cadavre ailé, ses yeux dévorés des lampadaires allumés-pourris. Ses murmures grinçants dans la gorge, ses craquements amoureux des abîmes, ses sapins noirs de déshérence contenue. Son haleine froide et frissonnante, apeurée. Tout chute...

J'ai erré parmi le ciel.

Rideau.

Rosaniam

Échos de consciences inconnuesWhere stories live. Discover now