Éclats par @Rosaniam

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Cela ne faisait rien, ça ne bougeait presque pas. Et puis – oh ! – tout d'un coup, plus rien n'était possible. Cela venait comme une grande vague brûlante, ou plutôt gelée ; ça emportait tout, ça laissait la peau en milliards d'éclats. Il fallait encore tenir, là, debout, lasse et lassée, avec à l'intérieur quelque chose de brisé, de coincé ; comme un vieil engrenage bouffi de rouille qui aurait figé la mécanique délicate et aurait fait éclater les unes après les autres les petites pièces sveltes – et si minces qu'un rien les heurtait – jusqu'à trouer la peau et révéler à travers la porcelaine cassée de la poitrine l'anarchie infernale du cœur embrouillé.

Les lèvres rêveuses se tendaient alors, suppliantes, avec contre les dents imprimés des adieux et des étoiles, des pleurs absurdes et des nuits rauques. Le visage n'exprimait plus rien, parcouru sur la joue de velours pas une longue ligne noire, fêlure abominable qui s'était étendue jusque là. Les yeux étaient vides et noirs, de ce noir qu'ont les étangs d'hiver au fond desquels pourrissent les cadavres. Mais sur le corps monstrueux reposaient les fantômes grimaçants de passions mortes et de rêveries oubliées. La courbe du dos, qui supportait à grand peine tous ces morceaux de porcelaine brisée qui s'étaient attachés là, autour des côtes, saillait par endroit comme l'écorce torturée des arbres décapités par la foudre.

Et puis, partout, sur le sol, reposaient les éclats ; de petits morceaux brillants qui reflétaient des larmes et des soleils mornes.


Échos de consciences inconnuesWhere stories live. Discover now