Helldown #2 - Ville de glace

Chapitre 23 (corrigé)

Heilin ressentait une telle paix intérieure qu'elle n'osait même pas regarder par la fenêtre de peur d'assister au déchaînement de l'Apocalypse. En fait, à bien y penser, elle vivait l'apocalypse en direct : Kiera au petit soin avec Roy. Tellement au petit soin que la jeune femme s'attendait à recevoir, à tout moment, des paillettes de bonheur dans les yeux et devenir aveugle. Même si leurs discussions s'étaient espacées considérablement – pour ne pas dire « totalement effacées » - en un an, elle n'aurait jamais pu imaginer la sorcière aussi mièvre. Elle qui agressait le premier type qui lui parlait d'une manière un peu trop appuyée quand elle avait dix-sept ans. Le revirement la choquait quand même un peu.

Roy, quant à lui, ne semblait pas différent : toujours un peu froid et prêt à sauter du lit pour se battre dans la seconde. Toutes ses émotions transparaissaient de ses gestes et paroles. Il était un livre ouvert aux côtés de la sorcière.

Kiera se releva, le visage soudainement sérieux. Heilin ouvrit sa connexion à sa propre magie. Elle perçut quatre sorciers au nord des quartiers guépards et six aux portes du manoir.

– Une équipe file vers le territoire du Kronidès, lui apprit Heilin.

Le doute se mélangeait à l'incrédulité sur le visage de la rouquine. La Vanadis ressentit un élan de compassion qui l'obligea à sourire. Kiera le lui rendit par une grimace crispée avant de sortir pour rejoindre les nouveaux venus.

Elle ne s'attendait pas à voir débarquer autant de gens de son peuple. Pas en si peu de temps. En une semaine, tous les quartiers vides entre les différents clans wastes affichaient complets. Les mages pourraient palier aux manques de place, mais il fallait voir la réalité des événements en face : ils manqueraient bientôt de nourritures et d'espaces.

Outre ce problème, leur culture respective était bien trop différente.

Chaque matin, très tôt, les sorciers et sorcières vénéraient leur déesse solaire, et le soir, ils recommençaient en l'honneur de leur dieu lunaire. S'il ne s'agissait que de cela, les wastes ne commenceraient pas à s'inquiéter, mais certaines denrées étaient rares chez eux. Contrairement à Tara, le reste de la ville ne péchait pas, ils se rendaient dans les marchés aux docks pour s'approvisionner et ils rationnaient leurs parts pour tenir plusieurs semaines. Quant à la viande rouge, les wastes chassaient et mangeaient les créatures au cœur de Central Park, ils ne ramenaient que la quantité nécessaire pour les plus jeune et les plus âgés d'entre eux. Les wastes regardaient tout cela d'un œil interrogateur et parfois effrayé. Les offrandes, les sacrifices en l'honneur de dieux quelconques, ils ne connaissaient pas et n'en comprenaient pas l'utilité. Cependant, les sorciers se montraient très demandeurs et la terreur qu'ils affichaient quand ils recevaient une réponse négative dissuadait les wastes de discuter avec eux sur le bienfondé de leurs requêtes.

Ainsi, même si Dageus réfléchissait à instaurer divers groupes pour subvenir aux besoins de leurs protégés, ils ne pourraient pas vivre les uns sur les autres indéfiniment ou bien ils finiraient par s'autodétruire. Tôt ou tard, il faudrait que les exilés reprennent le contrôle de leur territoire, Tara. Ce serait d'autant plus important si les sorciers ne démontraient pas une certaine volonté à s'allier à leurs hôtes en acceptant certains sacrifices.

Elle reporta son attention sur le guépard étrangement renfermé. Elle ouvrit la bouche pour lui tirer les vers du nez mais l'arrivée de Rhett l'en empêcha. Le Kronidès, ou seigneur des guépards, fixa son frère aîné avec une expression intense indescriptible. Heilin ne parvenait pas à savoir s'il voulait lui sauter au cou pour le lui trancher ou pour s'assurer de sa saine vitalité nouvellement retrouvée.

– J'ai senti ton trouble, que se passe-t-il ?

Roy se troubla, tête basse. Il se débattait clairement avec ses émotions. Elle posa une main rassurante sur la sienne, poing presque blanc autour du drap de lit. Leurs yeux se rencontrèrent.

– Isil est morte, lâcha-t-il brutalement.

Le cœur de Heilin se fendit. Isil Haget, une jeune sorcière sans réels pouvoirs mais à la joie de vivre contagieuse et une amitié débordante qu'elle offrait à qui le voulait. Kiera s'était énormément attachée à elle après son exil forcé. Qui mieux que Isil pouvait la comprendre dans cette épreuve ?

– Ben, est-il au courant ?

Le loup ne pouvait pas savoir la disparition de sa femme car il n'existait aucun lien entre un waste et une autre créature.

– Pas encore ! Devis l'a rappelé au Panthéon peu après l'arrivée des premières sorcières. Il aide pour comprendre leur fonctionnement particulier. Il rentre chez lui tous les soirs mais, depuis trois jours, il était bloqué ici.

– Qui est responsable ? soupira Rhett aux pieds du lit.

– La mère de Kiera, avoua-t-il après un instant de silence oppressant.

Heilin jura. Son amie le vivrait très mal. Sans aucun doute l'idée de Jezabelle. Sinon pourquoi ensorceler Roy et s'en prendre à une femme plus humaine que sorcière ?

– Elle veut détruire sa fille... et tous ceux qui se mettent en travers de son chemin, conclut-elle.

– Elle a perdu l'esprit ! cracha Roy.

Tout allait de mal en pis. La mère de Kiera n'avait jamais été très saine, mais de là à provoquer une altercation avec le reste de Helldown. Heilin éprouvait beaucoup de mal à y croire malgré tous les signes extérieurs qui s'enchainaient les uns après les autres.

La Vanadis ferma les yeux et compta lentement jusque dix. Elle avait lu quelque part que ce système permettait de mieux se recentrer et les sorciers avaient l'air de dire qu'il s'agissait d'une formule pour retourner à l'instant où tout partait en « couilles ».

– Que fais-tu ? s'enquit le Kronidès.

– J'essaye de rebrousser le temps pour éviter cette énième merde.

– Fais-le nous savoir si ça fonctionne, se moqua-t-il.

Heilin le dévisagea. Il paraissait plus calme mais aussi plus sombre. Elle se demanda su Dageis avait levé les interdictions de sortie. Si Rhett restait en arrière, elle n'osait imaginer les conséquences mentales. Le guépard vivait pour se battre, protéger les siens.

– Allons trouver Devis, soupira-t-il.