Helldown #2 - Ville de glace

Chapitre 29 (corrigé)

Dageus suivit des yeux le départ du groupe composé de Heilin, Vesper, Rhett, Roy, Nolan et Kiera. Son tigre rugit furieux à l'idée de quitter sa compagne, de la laisser se mettre en danger. La part rationnelle de son cerveau se força au rationnel : Heilin serait la plus à même de mener ce pan de son plan contre la sorcière. De plus, ils devaient prouver que leur lien était assez puissant pour surmonter la distance et le danger. Leurs gens devaient garder foi en eux.

– Tu es certain que je ne dois pas les accompagner ? s'inquiéta River.

– Beaucoup doute de Rhett et de moi par la même occasion, soupira l'Odin. Il est temps de démontrer qu'ils peuvent avoir confiance en nous.

Le guépard le dévisagea.

– Tu n'as pas confiance en mon frère.

– Chacun de nous possède des démons mais encore faut-il savoir si ces derniers ont eu raison de son intelligence ou non, marmonna-t-il. Bien ! Allons-y !

Il sentait que River aurait voulu discuter de son animosité envers le Kronidès, mais il mit fin à cette perspective. Rien ne justifiait son comportement paranoïaque. Rien à part son instinct et la manière très énervante qu'avait Rhett de le provoquer. Il avait bien senti sa présence aux côtés de Heilin avant qu'il la rejoigne. Il lui avait interdit de l'approcher et pourtant, le Kronidès insistait. Malheureusement il venait de mettre sa vie en danger pour sauver Wyatt et Line. Par respect pour son geste, il lui devait le bénéfice du doute.

Ils rejoignirent les mages qui écoutaient religieusement leur seigneur, Fark. Dageus devait avouer que le charisme du mage l'intriguait. Il y avait autant de magie que de puissance physique dans ses discours brefs et vifs à la fois.

– Xiana est à l'intérieur avec les enfants, lui apprit le Fark quand il fut à ses côtés.

– Je te remercie de ton aide.

Le japonais sourit simplement puis se tourna vers ses hommes. Les ordres fusèrent et ses hommes s'éparpillèrent telle une nuée d'oiseaux.

Efficace et dénué de fioritures.

– Les sorcières ?

– Kiera s'est assurée de leur dévotion, assura Fark.

Il n'en attendait pas moins de la princesse, même si elle le regardait, à présent, comme une sorte de monstre prêt à cracher du feu.

Ou lui sauter dessus pour l'égorger en l'occurrence.

Il avouait qu'elle n'avait pas tort de le craindre car sa soif de sang n'était pas étanchée. Loin de là. Néanmoins, il resterait maître de ses nerfs pour éviter de mener son peuple vers une mort certaine. Jézabelle les attendrait, il n'en doutait pas, et avec elle, des gens prêts ou forcés à sacrifier leurs vies pour sa folie.

Il aurait tout le loisir d'évacuer ses frustrations sur ses ennemis.

Matt le regarda arriver, le visage dur. Le léopard perdait du poids de jour en jour, son visage se creusait dans une expression mélange de tristesse et colère constante. Dageus croyait que Heilin ne se remettrait jamais de ses manigances mais au final, Matt était le plus durement touché. La culpabilité éclata dans son cœur.

– J'ai envoyé dix de nos combattants avec le maire.

– Cela le dissuadera peut-être de retourner sa veste au dernier moment, commenta le mage.

– Avec les humains, on n'est jamais à l'abri d'une surprise, confirma l'Odin.

Il donna l'ordre de se mettre en route. La marche se passa dans un calme religieux. Passé le dôme créé par les mages et les sorcières de leur propre camps, la neige recouvrait tous les bâtiments sur au moins vingt-cinq centimètres. Seuls les bruits de leurs pas sur la duveteuse et des bâtiments qui s'effondraient brisaient le silence de Helldown.

Sa ville tombait en morceaux et il ignorait s'ils sortiraient vivants de cette bataille. Ses gens se remettaient à peine de terribles pertes qu'ils devaient déjà retourner en Enfer. Et ce combat s'annoncerait bien plus difficile car si les humains ne possédaient aucun pouvoir, il n'en allait pas de même avec les sorcières. Elles seront bien plus retords et meurtrières.

Et sa compagne se baladait dans les tréfonds inexplorés de Helldown. Son Tigre s'approcha de leurs liens et le toucha de son énergie. Heilin lui répondit. Sa sérénité et son assurance apaisèrent son angoisse.

Qui aurait cru que je m'inquiéterais autant.

Son regard se perdit sur les dominants en tête de files. Le visage de Matt n'exprimait plus de joie, que de l'aigreur, des ressentiments et une colère intense. Il se plaça à sa hauteur.

– Ta colère est déplacée, Matt. Heilin n'est pas responsable de la mort d'Alpheus.

Le léopard garda ses yeux sur l'horizon, impassible. Sa crispation de mâchoire le trahit, néanmoins.

– Ta dominante savait, continua l'Odin. Elle connaissait sa responsabilité. Son fardeau. Et tu devrais vite te mettre à l'étude, toi aussi.

– Vas-tu tenir le même discours au Geb ? maugréa le blond, sa mâchoire contractée à l'extrême.

– Bien que cela ne te concerne pas, sache que mes paroles seront accompagnées de gestes appropriés quand le chef des Jaguars se trouvera devant moi.

Le Léopard grinça des dents mais n'osa pas le provoquer.

Sage décision, gamin..

Même s'il se sentait coupable du chaos entre Heilin et Matt, Dageus ne tolèrerait pas le manque de respect.

– Je suis responsable de la situation qui t'aveugle. C'est moi qui t'ai interdit de lui parler de sa position, de sa nature même et de l'abandonner à ses émotions. Si tu veux passer tes nerfs sur quelqu'un, c'est sur moi que tu dois les passer.

Dageus ne quitta pas des yeux le mur magique qui englobait Tara. Les tours habituellement éclairées restaient plongées dans les ténèbres mais les nouvelles, de sombres piliers inégaux aux briques gondolées déchiraient la pénombre d'une couleur rouge sang.

– Ce sont... bégaya un des mages avant de vomir.

L'Odin se concentra sur la surface irrégulière du mirador. Son estomac se retourna. Des corps. Des centaines de cadavres pris dans le béton par des filaments de magie.

Des silhouettes descendirent des parois et s'approchèrent à une vitesse étonnante avant de se figer dans les airs à une trentaine de centimètres du sol.

– Nom de dieu ! jura l'un de ses soldats.

Il n'aurait pas mieux dit.

Quatre sorciers squelettiques leur firent face. Leurs corps décharnés pendaient mollement tels des pantins tirés par des files invisibles. Leurs yeux blancs se fixaient sur l'horizon. Ces sorcières ressemblaient beaucoup trop à leurs wastes modifiés pour que cela soit une simple coïcidence.

– Ils n'ont plus rien d'humains ou de vivants, certifia Fark. Leur magie n'a plus la même teinte. On dirait...

– Nos wastes malades, conclut le léopard.

Le mage approuva. Dageus ne comprenait pas ce qu'il se passait. Ou plutôt son instinct lui soufflait une idée qui ne lui plaisait absolument pas. Tellement grosse, en plus, qu'il peinait à s'écouter.

L'apparition d'un tigre immense aux yeux laiteux, les poils noirs par endroits et absents à d'autres, des os apparents autour de son museau à moitié arraché, sur le mur d'enceinte, confirma ses craintes. Le hurlement de Jerry déchira l'atmosphère tendue et résonna douloureusement en Dageus.