Chapitre 2 • Toujours en Retard

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Affirmer que je suis arrivée en retard le premier jour de cours ne serait pas tout à fait exact.

Une minorité d'élèves sont encore debout lorsque j'ouvre discrètement la porte. Parmi eux se trouve Kheo, installé devant son ordinateur portable, le menton posé au creux de sa paume. Je le remercie intérieurement de s'être placé au fond, cela m'évite de me faire remarquer.

Je me faufile à quatre pattes jusqu'à sa rangée puis me redresse une fois avoir atteint la place libre à ses côtés. Seulement, mes calculs s'avèrent moins bon que je ne le pensais et le haut de mon crâne se heurte contre le dessous de la table dans un fracas étouffé.

— Tu deviens encore plus bête avec l'âge.

Je me frotte la tête.

— Bonjour à toi aussi, Kheo.

J'ignore son air nonchalant et sors mes affaires.

Cette année est la première année que je partage avec Kheo en cours de français. Après avoir étudié le grec ancien tout au long de l'année précédente, il décrète avoir atteint un niveau suffisant pour pouvoir se focaliser à présent sur une troisième langue.

Ses origines balkaniques ont sans doute pesé en faveurs dans sa décision. Mais, ce serait hypocrite de ma part de dire que Kheo manque d'ambition en ce qui concerne son avenir.

Pour ma part, je ne peux certifier que ma présence relève de ma propre volonté. Qu'on le croit ou non, mes parents adorent la France. Et par adorer je ne suis pas juste en train de dire que c'est un bel endroit dans lequel célébrer sa lune de miel. Ce que j'entends par-là, c'est qu'ils sont littéralement tombés amoureux de la culture française. Depuis toute petite, j'ai eu l'honneur d'assister à des milliers de reportages -si ce n'est plus- sur ce fameux pays européen.

Je n'y peux rien si l'amour qu'ils portent envers la France a même réussi à influencer leur choix en ce qui concerne mon prénom.

Ciel.

Un calvaire à prononcer pour la plupart des anglophones qui vivent ici, à Hawaï. C'est donc à travers quelques cours de langues que j'essaie de me rapprocher, comme je peux, de ce pays si merveilleux à leurs yeux. Parce que si quatre-vingt-dix pourcents de mon entourage manquent de prononcer mon prénom correctement, il faut bien que je puisse les corriger à ce sujet.

— Au fait, je voulais te donner ça.

Malgré les bâillements répétitifs qui se sont échappés de mes lèvres au fil du cours, l'heure s'est en fin de compte écoulée.

À mon plus grand bonheur.

C'est limite si je regrettai de ne pas avoir loupé quelques minutes de plus ; le premier cours de l'année n'est pas vraiment ce qu'on pourrait qualifier d'intéressant. Alors lorsque le professeur nous a libéré en clôturant son habituel discours par une phrase bateau d'encouragements, j'ai dû faire preuve d'un minimum de savoir-vivre pour contenir mon excitation.

Kheo me tend un sac cadeau en carton coloré.

— C'est pour moi ?

Il acquiesce, je m'apprête à l'attraper mais il recule sa main.

— Avant, je veux savoir pourquoi tu es arrivée en retard ce matin.

— Pff.

— Laisse-moi deviner, panne de réveil ? poursuit-il dans mon dos. Le bus n'est pas passé ? Ou non... Je sais, tu t'es perdue en chemin !

— Rien de tout ça, Kocorico.

L'emploi de son surnom donné par Kat lui décroche un froissement du nez.

— Et je ne suis pas arrivée en retard, au passage.

Il est vrai que j'ai pris la mauvaise habitude d'inventer tout un tas d'excuses plus ou moins crédibles pour justifier mes retards. Pendant un temps, j'ai eu un penchant pour le changement d'heure, bien que celle-ci fonctionne uniquement sur une période prédéfinie de l'année.

Évidemment, je n'ai pas délaissé l'incontournable panne de réveil pour autant, mais il faut croire que ma créativité a fini par se développer et dorénavant, mes excuses sont encore plus foireuses les unes que les autres. Reste à départager laquelle est la meilleure entre la mort de mon poisson rouge imaginaire ou bien celle du chien malade qui vomit partout à travers la maison.

Spoiler alert : je n'ai pas de chien non plus.

— Bon, on va dire que tu l'as mérité. J'espère juste que ton discours tiendra la route demain matin.

Je tire la langue à son expression taquine tout en plongeant ma main à l'intérieur du sac pour en sortir un bracelet aux perles multicolores.

— Wow, je ne pensais pas que tu avais de si bons goûts, Kheo !

— J'ai même fait gravé ton prénom en phonétique, comme ça les gens n'auront plus d'excuses pour mal le prononcer.

— Ce que tu es attentionné ! je m'exclame moqueuse.

Kheo m'aide à accrocher le fermoir du bracelet et je l'attire dans une étreinte amicale avant de prendre la direction de la machine à café. S'il est rare qu'une journée commence sans dix minutes de retard, alors c'est inimaginable qu'elle se poursuive sans une boisson rafraîchissante.

Peut-être est-ce dû au fait que j'ai tout misé sur une simple pomme pour mon petit déjeuner. Et puis c'est mon plaisir coupable à côté des salades de quinoa de ma mère.

Le meilleur moyen que je trouve pour distraire mon impatience devant le maigre attroupement de la machine à café, n'est autre que de classer mentalement les boissons adoptées par chaque étudiant, au fur et à mesure que la queue diminue. Le frappucino noisette au sirop d'érable remporte haut la main la première place du podium. Mais quand le choix revient au blond devant moi, le simple fait de le voir s'éterniser sur sa décision suffit à m'avertir qu'il est nouveau ici ; tout le monde sait pertinemment que la règle d'or de la machine à café se résume à ne pas prendre plus de trente secondes pour choisir sa boisson.

Ce qu'il a déjà largement dépassé.

Son doigt virevolte au-dessus des différents types de cafés et chocolats et cela devient presque insurmontable de contenir mon besoin absolu de lui recommander ma boisson préférée.

Et puis c'est plus fort que moi.

C'est en lui inculquant un léger sursaut, qu'il se retourne à moitié, ses cheveux sable vacillant dans le mouvement.

— Je te conseille le latte vanille glacé. Crois-moi, tu ne le regretteras pas ! Et puis si c'est le cas, je t'autorise à crier haut et fort que mes goûts en matière de boisson sont médiocres.

Son regard bleu se pose tout d'abord sur mon visage souriant, administrant au sien une mine hésitante l'espace de quelques instants, jusqu'à ce qu'il finisse par me sourire timidement en retour. Il sélectionne la boisson en question, la machine répond aussitôt à sa requête. Les dernières gouttent rejoignent les précédentes et bientôt, il récupère son gobelet en carton recyclé.

— Tu m'en diras des nouvelles ! je lance enthousiaste à l'idée de faire découvrir cette boisson savoureuse.

Mais le blond ne m'apporte aucune réponse. Mise à part un infime sourire qui courbe pour la seconde fois, ses lèvres corail.

Blue as the SkyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant