Chapitre 11 • Kapolei

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Les inséparables viennent de se séparer.

Bon pas littéralement, disons que l'un d'eux prend seulement son envole vers de nouveaux horizons.

Les bras croisés, n'ayant visiblement pas trouvé meilleur support pour ma tête pendant toute la durée du vol, c'est la pointe de mon épaule que j'utilise comme oreiller. Évidemment, Azalée ne manque pas de souligner mon affreuse trace sur la joue lorsque je la retrouve à l'aéroport accompagnée de Calum, les mains prises d'une atroce pancarte 'CÏEUL' en carton recyclé. De quoi m'assurer un réveil des plus radicaux.

— Tu cherches la guerre ? je grogne à l'égard du basané, lequel me répond par un sourire digne d'une pub de dentifrice.

— Rien qu'un peu.

Azalée ne me laisse pas le temps de riposter qu'elle se jette dans mes bras, le tout avec une telle délicatesse que je manque de tomber à la renverse sur le carrelage.

— Tu m'as manquée, Cupcake ! Comment tu vas ?

— Ça irait mieux si je pouvais respirer, je piaille entre deux tentatives d'inspirations.

Azalée s'écarte, mais au lieu de laisser l'espace nécessaire à mon cercle personnel, voilà qu'elle brandit son téléphone devant mon nez.

— Regarde !

L'écran est si près de mon visage que si Pinocchio était à ma place il aurait transpercé la vitre.

Je recule à mon tour.

Sur l'image jaillit un gigantesque bâtiment digne d'une oeuvre pittoresque, dont les murs entremêlés de briques claires et de lignes blanches engendrent un moderne contraste avec la fontaine implantée au centre de l'allée. Une pelouse vert citron entoure la majeure partie du complexe. C'est en glissant mes doigts sur l'écran pour zoomer de quelques pixels que je distingue l'inscription : 'Architecture Kapolei College Campus' sur le muret à l'entrée.

— Tu penses que c'est aussi grand qu'en photo ?

L'excitation est imparable au cœur de ses yeux hétérochromes.

Calum et moi échangeons un regard, suivi d'un haussement d'épaules de sa part.

— Je suppose qu'il n'y a qu'un seul moyen de le savoir. 


Ce n'est pas aussi grand qu'en photo.

Enfin, ça le serait si on prenait en compte les arbres crochus qui piétinent une bonne partie du campus.

Du manoir.

Ce terme est sans doute plus adapté.

Pas besoin d'être devin pour remarquer Azalée tomber de dix étages face à l'horreur qui se dresse devant nous. De part la teinte sombre de l'édifice et ses murs crépis en lambeaux, on pourrait presque s'attendre à voir une horde de chauves-souris en sortir. Même Casper aurait des frissons. Comme ma soeur aime se faire du mal, elle allume son téléphone pour comparer l'image de tout à l'heure au paysage qui nous fait face, de quoi bien remuer le couteau dans la plaie. Calum s'incline par-dessus son épaule :

— Il y a plus de sept différences, pour le coup, s'esclaffe-t-il.

Ma sœur ne se décompose pas pour autant, elle maintient malgré tout son optimisme naturel :

— Je suis certaine que l'extérieur ne paie pas de mine, mais que c'est un super endroit, affirme-t-elle au sein d'une déglutition fragile.

Elle tente de nous faire croire que l'odeur der salpêtre n'est qu'une simple illusion.

— Alors, qu'allons-nous trouver derrière cette porte ? Ironise le basané. Des rats, des cafards ?

— Aller ouvre ! s'impatiente Azalée.

Le bois meurtri émet un grincement des plus effroyables en dépit de toutes les précautions dont Calum fait preuve pour ouvrir la porte. J'essaie tant bien que mal de passer outre ce détail, mais les fissures qui sillonnent le plafond aguichent ma nervosité. Le faisceau lumineux du jour extérieur se fait de plus en plus mince au fur et à mesure que notre échappatoire se referme derrière nous. Et en une fraction de seconde, nous voilà plongés dans le noir complet.

Je ne sais pas si je suis censé rire ou pleurer.

Alors, pour mon bien-être personnel, je choisis la première option.

— Ce n'est pas drôle, siffle Azalée les dents serrées. Sa voix est empreinte d'un étrange cocktail jumelant ironie et désespoir.

J'imagine qu'elle se met en tête de trouver un interrupteur mural étant donné le frottement soudain qui se dégage du contact de sa paume sur les murs.

— Cïeul, si tu caches à ta sœur que tu fumes, c'est le moment de brandir ton briquet.

Malheureusement pour eux et heureusement pour mes poumons, je ne peux répondre favorablement à cette requête.

C'est donc à la file indienne, éclairés par la lampe torche de nos portables respectifs, qu'on tâtonne à travers les couloirs obscurs. Bien que l'absence de luminosité n'alimente en rien notre sens de l'orientation.

— Médecine c'était pas si mal après tout, je glousse.

Azalée a pour coutume de bousculer mon épaule de sa paume lorsque je lance un pique qui la fait rire malgré elle, mais le tintement répété de ses talons sur le sol me confirme qu'elle vient d'échouer. La situation cocasse dans laquelle nous nous trouvons ne fait qu'accroitre mon rire, certes nerveux, mais c'est toujours ça de pris.

— EH, OH ! IL Y A QUELQU'UN ? je hurle.

— Chuuut, tu vas réveiller les fantômes ! lance Calum.

Je pouffe de rire à sa remarque :

— Tais-toi, il y a pas de fantômes.

— Si ! réfute-t-il. Là.

Le timbre de sa voix crisse à mon oreille, tandis qu'un cri fugace vivifie mon bond d'effroi.

— Vous avez fini, vous deux ? intervient Azalée en braquant le flash sur nous, histoire de camoufler son propre rire.

— Ahhh, éteins-moi ça ! gémit le basané.

Après quelques minutes de marche supplémentaires, nous atteignons bien vite le bout du couloir étant donné que la superficie de l'immeuble n'a considérablement rien à voir avec les photos répertoriées sur internet.

Une notification apparaît sur l'écran de mon téléphone :

Kat à : Jerry et les Totally Spies

Rendez-vous vendredi, 21h chez Merlin

PS : Venez déguisés ! 🎃👻

Un cri strident sorti tout droit des ténèbres se projète aux quatre coins de la pièce lorsque ma sœur bondit jusqu'à nous. Instinctivement, j'incline la lumière dans sa direction, quand un frisson me parcourt l'échine devant cette vision d'horreur :

Un rat.

— OK, on rentre à la maison !

Blue as the SkyWhere stories live. Discover now