Chapitre 20 • La reine des Rutabagas

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Si je devais nommer une sensation encore meilleure que celle de retirer son maillot de bain plein de sable en rentrant d'une longue journée à la plage, c'est bien de retrouver son lit douillet après avoir frôlé la mort quelques minutes plus tôt. Une sensation que j'ignorais ressentir de sitôt, cela va de soi. Je tourbillonne entre mes draps, m'emballe de leur fraîcheur tel un burrito de salade verte (un peu trop salé, si je tiens compte de l'eau de mer qui assaisonne mon corps depuis que j'y ai fait trempette).

Je vais me rendormir. L'embarras collé à la peau, certes, mais je vais me rendormir.

Je ferme les yeux.

Où avais-je la tête ?

Je suis trop mortifiée pour dormir.

À l'instant où la toile sombre de mes paupières m'occulte la vue, l'image de Merlin contraint de m'arracher à la mort, sermonne mon corps tout entier d'un frisson d'effroi.

— Il faut que je passe à autre chose, je murmure à moi-même. Je suis forte, je suis courageuse, je suis une guerrière invincible et rien, ni personne ne peut contredire mes plans...

— DEBOUT LÀ-DEDANS !

Mon père déboule dans ma chambre avec la délicatesse qu'une équipe de déminage en action.

— Qu'est-ce qu'il se passe ? je grogne.

— Il se passe que si tu ne te lèves pas dans moins de cinq minutes, nous allons être en retard pour le marché bio !

Oh non.

Comment ai-je pu oublier.

Chaque fin de semaine ponctue le plaisir coupable de mes parents, à savoir : le marché bio. Ils se rendent tous les dimanches -sans exception- à Edgewater Harbor, au sud de Lake Field, là où les primeurs s'étendent sur le ponton qui borde le port de 8h du matin à 14h de l'après-midi. Et ce, dans l'unique but de remplir le frigo de tout un tas de feuilles vertes et racines en tous genres, soit disant appelés légumes. Une carotte est un légume, un vieux morceau de branche jaunâtre et ridé, ne fait pas partie de mes connaissances (pourtant étendues) en matière d'aliments sains.

— T'étais pas obligé de me réveiller pour ça... je replonge dans mon oreiller. Un message pour me prévenir que vous partiez aurait suffit.

À mes pieds, mon matelas s'affaisse de deux ou trois centimètres. Ou dix, je n'ai jamais été très douée en mathématiques. J'entrouvre un œil contre mon gré.

— Sauf qu'aujourd'hui, tu viens avec nous, rayonne-t-il.

— Et que me vaut cet honneur ? je marmonne sous ma couette.

Rares sont les fois où j'ai eu le plaisir d'assister à leurs emplettes, alors je ne vois pas en quoi aujourd'hui serait un jour nouveau.

— Tu es la meilleure pour choisir les rutabagas !

Je ne peux m'empêcher de rouler des yeux à sa réponse, il aurait au moins pu trouver un argument plus flatteur.

Je me redresse, déglutis. Malgré toutes les péripéties dont ma vie fait preuve en ce moment, je tente d'adopter une expression des plus sérieuses :

— Papa, tu sais l'université me prend beaucoup de temps ces derniers temps et j'ai vraiment besoin de sommeil. Tu ne voudrais tout de même pas que je manque de concentration en cours à cause de ça ?

Son visage neutre de compréhension, s'efface bien vite sous les pattes d'oie qui teintent son sourire :

— Bien essayé, mais tu ne peux y échapper. Rejoins-nous en bas dans cinq minutes !

Blue as the SkyWhere stories live. Discover now