Cinq

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Henry

Je déteste les mercredis. Encore plus que les lundis.

«Liste de tout ce qui m'est arrivé de négatif aujourd'hui :

J'ai coulé mon examen d'histoire.
Le repas de la cafétéria était du poisson.
• M. Robert a lu un de mes poèmes devant toute la classe.
Mon écouteur gauche a arrêté de fonctionner subitement.
J'ai...»

J'allais continuer à écrire ma liste dans Obscur, mais la pointe de mon stylo a brisé et l'encre s'est étendue sur une bonne partie de la page. Ai-je déjà dit que je déteste les mercredis? Pour moi, cette journée de la semaine est aussi pénible que de faire un marathon. Pieds nus. Sur un sol parsemé de legos. Avec des grains de sable dans les yeux. Pendant que des moustiques te piquent la peau.

En plus, je sens qu'elle s'en vient. La Migraine. Elle a commencé à la mort de ma mère. Au début, elle n'arrivait qu'une fois par mois environ, mais, plus le temps passe, plus l'intervalle rétrécit. Maintenant je dois l'endurer presqu'à chaque deux semaines. Et ce n'est pas qu'un simple mal de tête, mais bien une douleur atroce, insoutenable, qui m'empêche d'aller en cours et, même parfois, de marcher de mon lit au frigo (et notre appart, à Shiva et moi, n'est qu'un 3 1/2, donc la marche est loin d'être longue). La Migraine est semblable à des centaines, des milliers de chars d'assaut qui tentent de faire exploser mon crâne. Et je sais qu'un jour ils y parviendront. Ce n'est qu'une question de temps.

La chanson Paint It Black joue dans les deux haut-parleurs accrochés aux murs du magasin. Définitivement ma préférée de The Rolling Stones, dû aux paroles décrivant à la perfection mon existence. J'en retranscris quelques-unes dans Obscur.

«I see a red door and I want it painted black
No colors anymore, I want them to turn black
[...]
I look inside myself and see my heart is black
I see my red door, I must have it painted black
Maybe then I'll fade away and not have to face the facts
It's not easy facing up when your whole world is black.»

Salut Henry! s'exclame une voix familière et je sursaute en lâchant mon stylo.

Olivia Chevalier se tient sur le cadre de porte, aussi brillante qu'à l'habitude, créant un contraste palpable avec moi. D'où connaît-elle mon prénom?

Voyant que je reste muet devant ses salutations, elle se répond elle-même en prenant une voix faussement enjouée :

— «Bonjour, belle journée, n'est-ce pas?».

Toujours aucune réaction de ma part.

— Toi, tu n'es pas ce qu'on appelle un bout-en-train, pas vrai?

— Tu cherches quelque chose en particulier? je finis par demander.

— Oui, Schtroumpf Grognon. Encore une chanson.

Je la regarde, incrédule. Elle poursuit en haussant les épaules :

— Je te l'ai dit, je n'ai aucune mémoire pour les titres.

— Tu vas venir ici chaque jour, ou quoi? demandé-je en soupirant.

— Désolée de vous déranger, monsieur, réplique-t-elle en croisant les bras. C'est vrai que vous avez beaucoup de clients.

Adolescents FluorescentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant