Neuf

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Henry

Le cadran de mon téléphone sonne. J'ouvre les paupières péniblement et reste quelques minutes dans mon lit. Enfin, sur mon matelas de sol. Comme l'a soupçonné Olivia hier, le local de musique est ma nouvelle chambre et le magasin, ma nouvelle maison. Je ne suis pas retourné à l'appart depuis samedi soir; mes affaires y sont encore. Je vais devoir aller les chercher cette semaine et payer le loyer pour la dernière fois. C'est plutôt désolant de nous séparer, Shiva et moi, après tous ces mois à habiter ensemble; je vais m'ennuyer de ce geek informatique (suis-je vraiment en train d'avouer cela?). Mais nous allons toujours nous voir au magasin. Et mon compte bancaire sera moins souffrant. Certes, le magasin n'est pas ce qu'on appelle un appartement luxueux sur Wall Street, mais, en bon québécois, «ça fait la job». Et c'est temporaire; je ne prévois pas dormir sur ce mince matelas très longtemps.

J'aperçois un rayon de soleil qui traverse les fenêtres pour venir illuminer la rangée de CD, créant une multitude de petits arcs-en-ciel. C'est beau. J'ai enfin la volonté de me lever, quand une douleur atroce frappe l'intérieur de mon crâne. Je prends ma tête entre mes mains. Ça y est, elle est là. La Migraine. Ce n'est pas une surprise, je savais qu'elle approchait à grands pas. Pas besoin de tenter d'aller en cours; je sais pertinemment qu'Elle m'empêchera de faire n'importe quelle activité aujourd'hui. J'use de toutes mes forces pour appeler Shiva et lui dire qu'il peut prendre une journée de congé étant donné que je vais rester au magasin. Puis, j'insère une compilation de mes chansons préférées dans la radio, m'assois devant le comptoir et ne bouge plus pendant un temps incalculable. Ça empire. Il n'y a plus seulement des soldats armés dans mon crâne, mais bien des chars d'assaut. Ma tête va exploser. J'ai envie que ça s'arrête. Je ne peux plus le supporter. S'il vous plaît... Il faut que ça s'arrête.

***

«Poème #85. 14:47

J'ai mal à la tête
Là-haut, des éléphants font la fête
Avec tambours et timbales
Tous se fichant de mon mal

J'ai mal à la tête
Il faut que ça s'arrête
C'est plaisant de mourir
Comparé à ce martyre

J'ai mal à la tête
Cessez cette tempête
Cessez cet orage
Cessez ce carnage»

Je viens de réaliser la date que nous sommes. Le 28 mai. Cela fait un an qu'elle est morte. Comment ai-je pu m'en rappeler que maintenant?

C'en est trop.
Ma Migraine, sa mort...
Je prends un stylo et, sur une page vide d'Obscur, je dessine ma vie. Je barbouille la feuille d'encre noire, appuyant tellement fort que la pauvre page se déchire en son centre. Puis j'admire mon œuvre. Aucune couleur. Une déchirure et que du noir. Voilà, c'est ma vie.

Des choses horribles flottent dans ma tête. Des choses sombres, lugubres. Je pense au ciel. Je pense à ma mère qui est là-haut. Je pense à la rejoindre. Je pense à cesser cette migraine. Je pense à mourir.






Puis une silhouette passe la porte.
Est-ce un rêve? Non. Olivia Chevalier est bien là, entourée d'un halo de rayons de soleil, telle un ange.

— Salut Henry! Ça va?

Son sourire s'efface. J'ai une mine si pire que ça?

— Salut, Olivia.

— Pourquoi t'étais pas en cours de littérature?

Adolescents FluorescentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant