Six

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Olivia

J'avance d'un pas prudent, deux soucoupes surmontées de tasses pleines dans les mains.

— Et voilà, un thé d'eucalyptus et de citron! Il va te remettre sur pieds en un clin d'œil.

Debout sur la véranda, j'offre la tasse à Albert qui la prend d'une main tremblante. Il m'a confié se sentir faible, donc j'ai accouru chercher ma grande réserve de thé. Chaque plante que j'utilise porte sa propriété bienfaisante. Insomnie? Camomille. Stress pour un examen? Aubépine. Mal de ventre? Gingembre. Depuis que j'ai découvert le thé (et que je suis devenue complètement accro), je n'ai plus eu besoin de Tylenol, d'Advil et tout ce genre de médicaments. Mes infusions sont tout simplement magiques.

— Moi j'ai choisi un thé d'ortie et de menthe, continué-je en m'assaillant sur la chaise de droite. L'ortie est un purifiant qui peut éliminer les substances nocives de la peau. Ce bouton sera disparu demain.

Je montre à Albert le volcan qui naît entre mes deux sourcils. Il annonce :

— Je crois que le principal responsable des bienfaits de tes thés se nomme l'effet placebo, ma chère.

— Pas. Du. Tout. C'est de la science. Le thé est bénéfique au système immunitaire; il peut atténuer l'anxiété, la nausée, la toux...  Il contient des polyphénols, qui sont des antioxydants et anti-inflammatoires.

— Et anti-cancer? demande-t-il.

Je baisse les yeux. Mon boîte crânienne a la mauvaise tendance d'écarter des choses importantes, seulement par peur de les affronter. Comme si j'allais les oublier. Comme si elles allaient disparaître. Mais ce n'est pas comme cela que fonctionne le cancer. Et celui d'Albert est tout comme de la visite exaspérante à la maison; il prend un temps mesquin pour quitter. Dire que, il y a quelques secondes, mon bouton bourgeonnant sur mon visage m'apparaissait comme un problème alarmant.

— Pas à ce que je sache, soufflé-je d'une voix instable. Mais on peut toujours essayer...

Il prend une gorgée avant de dire :

— Délectablicieux, comme toujours. C'est bien le seul traitement que j'apprécie.

Je souris faiblement, ignorant le mot absurde qu'il vient d'inventer. Ce breuvage est ma façon personnelle de lui apporter des soins, même si son taux d'efficacité est probablement de -1%. Je crois que c'est pour cela qu'Albert boit toujours au complet les tasses que je lui prépare; pour me faire plaisir.

***

— Pourquoi on ne pratique pas ce soir?

Je me tiens sur le seuil de la chambre de Mathias, où celui-ci accorde sa guitare, assis sur son lit.

— Sam et Tim ont un empêchement, m'apprend-il. De toute façon, tu n'as pas un party, toi?

— En effet, marmonné-je. Mais j'ai autant d'intérêt à y aller qu'un rendez-vous chez le dentiste.

J'ai failli rester à la maison, mais, connaissant Justine, elle aurait été fâchée contre moi.

— L'Olivia d'il y a quelques mois n'aurait jamais dit ça.

C'est vrai. Auparavant, mon but principal dans la vie n'était pas de trouver l'amour, d'écrire un roman ou de faire le tour du monde. Non, c'était d'être invitée dans les fêtes. Et ce n'est même pas parce que j'aimais ces soirées, mais seulement parce que je voulais être comme les gens qui y étaient présents. Là-bas, je portais des habits qu'on ne m'aurait jamais vu porter en temps normal. C'était ma phase je-suis-à-la-recherche-de-moi-même, celle dont la plupart des adolescents passent un jour ou l'autre. Mais elle est bien terminée, mon accoutrement de ce soir en est la preuve: jeans confortables, cardigan excessivement doux et mes incontournables Converse jaunes.

Adolescents FluorescentsWhere stories live. Discover now