Lettre 5

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Cher inconnu,

Cela m'arrive souvent de penser à toi, sans jamais parvenir à me faire une idée plus nette, une image plus en moins claire, de ce que tu es réellement. Je prends un taille-crayon et broie combien de têtes avant de faire dresser la pointe grisâtre de mon crayon. Bien affûtée, j'en contourne tes contours outrés et essaie en pure perte de les rétablir, comme on rétablit les frontières d'un pays qu'ont dévasté les guerres.
Ce gris extrait à la blancheur de mes insomnies et à la noirceur de la nuit. Un gris qui manque aussi de netteté, un gris sans identité. Couleur déracinée qui ne peut être que la propriété d'un inconnu, de deux inconnus.

Nous cerner m'est quasiment inaccessible.

Je pose mon crayon et range mes feuilles car ce soir, je ne compte t'écrire. Je te crierai plutôt sur tous les toits, jusqu'à ce que déflorent tes tympans, mes échos.
Hélas, je vois déjà, s'abattre sur ma plume dévergondée des torrent de jugements. Nonobstant, du bout de mes seins, j'écorcherai la pudeur pour nous mettre à nu et les dénuder aussi, eux, autres inconnus. Je ne me tairai avant de jouir comme une folle de toutes les incohérences qui font rougir les mots.

Je ne te connais pas, et je ne sais si tu es en mesure de me suivre dans mes dédales pour rétablir notre puzzle, sans que tu me ne connaisses afin de pouvoir me reconnaître. Rien n'empêche, je te tends ma main. A toi de deviner la croisée des chemins.
Décemment, je ne sais d'où commencer car il n'y a encore aucun début. Sur un petit bout d'existence, je nous étale à outrance.
Tu vois ? Je veux te parler de la vie qu'on partage dans une mare d'indifférence et celle que tu m'inspires et te l'offre en romance.

Inconnu de tous les temps, par ce puzzle, je tends aussi à nous situer par rapport aux autres. Ces inconnus, à qui tu es méconnu et qui te nomment marginal. Ainsi, ces marginaux, pour qui je suis inconnue me taxant aussi de marginale.
Qui puisse-t-on être parmi deux camps d'inconnus qui ne nous reconnaissent que pour mieux nous méconnaître ?

Tu vois ? On est des choix.
Personne n'est mieux que l'autre et souvent, on est tous pires les uns que les autres.
A chacun ses goûts, à chacun ses différences.
A chacun ses plaisirs, à chacun sa conscience.
A chacun ses attentes, à chacun ses exigences.
A chacun sa poésie, à chacun sa philosophie et à chacun son vent de liberté ...

Amoureusement, l'inconnue.

Lettres à un inconnuWhere stories live. Discover now