Lettre 15

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Cher inconnu,

Le destin trébuche. Je lui file entre les doigts et me cogne contre toi. Dans le creux de ton corps, contre ton cœur, j'ai pris naissance, non sans effroi, non sans émoi ... Tu m'ouvres tes bras et m'y enterre un instant, une éternité, le temps d'un adieu, le temps d'un regret. Tes bras sans frontières, tes bras sans barrières qui serrent puis desserrent, qui emprisonnent puis libèrent.

À qui en vouloir ? Au destin son imprévisibilité ? À moi, ma vulnérabilité ? Ou à toi, ton audace ?

Minuit passé, Morphée prend place dans les bras de son amante, les cernes sous les plis de mon regard, comme des sans-abri sous les ponts de la misère. Et moi, dans le tumulte des mots, confusément, j'improvise ma sentence.
Quant à toi, je laisse mes entre-lignes t'abriter ...

À nouveau, je martèle la rime qu'a abandonnée ma plume fiévreuse, il y a longtemps, et fais retentir son écho strident, pour assourdir mon cœur damné. C'est toujours ainsi ! Quand les âmes bienheureuses s'abandonnement à un sommeil empourpré, je me noie dans une fiole d'encre et m'enivre de sa noirceur. C'est sous l'aile de la nuit que je m'inflige mes châtiments ...

Ce soir, j'écris.
Ce soir, je t'écris.

Je t'écris et laisse un peu de moi dans chaque lettre. Je t'écris et vois ma main se détacher de mon bras et mes bras de mon corps. Je t'écris, les mots s'effacent et les sens s'enfuient. Rien ne tient, rien de dure, rien n'est figé. Tout est fugace, tout est fumé, comme la vie, comme l'amour, comme la mort ... Tout bascule, tout s'envole.

Sur la blancheur d'une feuille, j'imprime soigneusement des baisers, comme se sculptent imprudemment, sur la pureté d'un cou, la poésie.

Amoureusement, l'inconnue.

~ Lettre à un inconnu

Lettres à un inconnuWhere stories live. Discover now