6. Nuit glaçante

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Après avoir déposé Kim, on s'arrête commander du libanais. Pour clore parfaitement la journée, une soirée plateau télé nous semble tout indiquée.

—     On recommencera, dit Ju, c'était vraiment cool, même si tu as exagéré, Sas, en partant aussi loin.

—     Il n'y avait pas de quoi s'inquiéter, tu sais très bien que je suis une bonne nageuse.

Passer la plupart de mes vacances à Miami à nager tous les jours dans l'océan, loin de mon père et de toute sa cour a porté ses fruits. 

—     Oui mais ça n'a rien à voir, si on te dit qu'il y a des courants, c'est comme ça, bonne nageuse ou pas. Tu as de la chance que je ne t'ai pas engueulée devant tout le monde.

—     Oui, maman, dis-je un peu saoulée par sa morale. J'ai compris.

—     Je suis sérieuse, Sas, t'as pas intérêt à recommencer.

—     On peut changer de sujet ?

—     J'aime bien Edi. Il est drôle et je vois ce que tu aimes en lui. Il ne se prend pas au sérieux, un peu comme moi.

—     Ouais, il avait le regard un peu trop baladeur à mon goût.

—     Il ne te plaît pas ?

—     Non, tout le monde n'a pas la chance de trouver la perle rare dès la première semaine, dis-je en lui pinçant la joue.

—     Je me sens de mieux en mieux avec elle..., dit-elle hésitante.

—     Oui, ça se voit.

—     Tu sais, je crois que je suis en train de tomber amoureuse. C'est dingue non ?

—     Non, c'est génial. Je suis contente pour toi.

—     J'ai juste pas assuré quand ce mec s'est pointé.

—     Ça viendra. Tu gèreras mieux avec le temps ce genre de comportements homophobes. Alors si je peux servir... Je la serre dans mes bras. Ce n'est pas à une future avocate que je vais apprendre que c'est bien plus facile de défendre les autres que soi-même. Oh ! Je meurs de faim. Elle arrive cette commande !

Je prépare nos plateaux pendant que June se douche. J'allume la télé et tombe sur une émission culinaire. Quand elle me rejoint, on s'en donne à cœur joie pour tout commenter : les caractères des participants, leurs préparations, les résultats. Mais avant la fin du programme, je somnole déjà.

—     T'es crevée et je t'ai levée à l'aube, tu devrais aller te coucher.

—     T'as raison, surtout que j'ai cours hyper tôt demain. Bonne nuit ma poulette. Fais des beaux rêves, dis-je en me dirigeant vers ma chambre.

—     Oui, toi aussi.

Le corps fourbu, je m'effondre sur mon lit. Mais à peine me suis-je glissée sous les draps que des images de la journée embrouillent mes pensées. Ses yeux perçants, la chaleur de son corps près de moi sont encore trop présents et me tiennent éveillée jusque tard dans la nuit. Alors quand un bruit strident m'arrache brutalement au sommeil trop longtemps attendu, j'émerge difficilement, encore perdue entre le rêve et la réalité. Ce n'est qu'à l'arrivée affolée de June dans ma chambre, que je réalise qu'il se passe vraiment un truc. Ma peau est comme électrique, couverte de chair de poule.

—     T'as entendu ce bruit flippant ? C'était quoi ce truc ? chuchote June tout en se glissant sous mes draps.

—     On aurait dit le crissement d'une craie sur un tableau, à vous en percer les tympans, ajoute-t-elle.

—     Attends, dis-je, je vais voir.

—     Quoi !? Ça va pas ? T'as jamais vu de films d'horreur ou quoi ?! A chaque fois, les gens qui vont voir ce qui se passe se font trucider.

Voyant que je sors du lit, June me suit.

—     Pas question que je reste seule. 

On se dirige l'une derrière l'autre en direction du salon.

—     Je crois que ça vient du couloir, dis-je à voix basse.

—     Surtout n'ouvre pas la porte.

—     J'entends des voix.

Je colle mon oreille à la porte d'entrée.

—     Ne pose pas ta tête, s'alarme Ju en me tirant en arrière. Imagine s'il est armé d'une hache tranchante, ajoute-t-elle, très sérieusement. Il peut transpercer la porte d'un coup sec. T'imagines le tableau ?

Je me retourne vers elle.

—     On peut dire que tu sais détendre l'atmosphère, dis-je, amusée par ses élucubrations. Les filles sont dans le couloir. Je reconnais les voix d'Amy et Suzanne. On peut ouvrir ? Pour savoir ce qu'il se passe ?

—     Ok, mais lentement, répond June, vraiment pas rassurée.

A notre grand étonnement, toutes les portes sont ouvertes. Les filles sont toutes réveillées et s'interpellent entre elles. « Vous avez entendu ? » « Tout le monde va bien ? » « Mais c'était quoi ce bruit ? » « Un connard a voulu nous faire peur ! »

—     C'est bizarre, y a rien, commente Ju. Ça semblait pourtant si proche.

Amy, face à nous, pointe son doigt vers le mur. En se retournant, on reste scotchée face aux quatre profondes entailles qui lacèrent tout le mur et les portes de notre côté du couloir.

—     Wolverine est passé par là ou quoi, s'exclame notre voisine de palier.

La responsable arrive à notre étage.

—     Tout va bien, mesdemoiselles, dit-elle pour nous rassurer, pas de panique. Personne n'est blessé. Ce n'est qu'un acte de vandalisme. Vous n'avez rien à craindre. J'ai appelé la sécurité. Elle arrive. L'université va certainement faire une enquête.

—     Pour le prix qu'on paye, y a intérêt, l'invective Suzanne.

—     Ils ne vont pas prendre ça à la légère, continue-t-elle en faisant comme si elle ne l'avait pas entendue. Ne vous inquiétez pas. Le ou les plaisantins ne vont pas s'en sortir si facilement. Il y a des dégradations. Maintenant, rentrez dans vos chambres, s'il vous plaît et fermez vos portes à clef. On en saura certainement plus demain.

—     Ils ont lacéré tous les étages,demande Ju.

—     Non, ils ont certainement eu peur d'être attrapés et sont vite partis.

—     Vous voulez dire qu'il n'y a que cet étage de touché.

—     Il n'y aurait pas une de vous qui aurait contrarié un ex, lance Suzanne en regardant Annabelle plus loin.

—     Ta gueule Suzanne. C'est sûr que ça ne risque pas te t'arriver. Et de mon côté, personne n'a de quoi se plaindre.

—     Bon, ça suffit, rentrez maintenant, je dois aller accueillir la sécurité.

Entre tes Griffes 1 (Publié Aux Éditions HLab)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant