44. Le pensionnaire

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—     T'as une sale gueule, Aaron, dis-je après avoir coupé la musique.

Affalé sur la chaise soudée au sol au centre de la pièce, il frissonne au son de ma voix. La playlist Hard rock de T l'a bien sonné. Avant de baisser l'éclairage aveuglant, je vérifie que ses ecchymoses sont déjà passées au jaune. Sa mâchoire s'est bien ressoudée.  Je m'approche de lui.

—     T'as la défaite amère. Pourtant tu n'as pas démérité, tu t'es bien battu. C'était évident que je serai plus fort que toi. Ton clan avait mal préparé sa technique de chasse. T'aurais jamais dû être sur mon chemin.

Il ne dit rien, mais je vois que mes paroles le réconfortent. Qu'est-ce que ce gamin fait dans cette galère. J'enrage contre les alphas abusifs.

—     Ton alpha n'aurait pas dû t'éjecter, juste te déclasser en niveau 3. Mais aujourd'hui c'est une autre histoire, tu t'es volontairement mis sur ma route, dis-je comme un coup de fouet. Dur de se prendre une seconde raclée, surtout quand le combat est perdu d'avance. Enfin s'il te reste encore un peu de fierté, vu où t'en es arrivé.

Ce gamin est paumé et a peur. Il n'est même plus capable de relever la tête. Etre banni de son clan après avoir participé à sa première chasse l'a cassé. En Arkensas, les alphas sont plus conservateurs et dirigent leurs territoires à l'ancienne. Aaron n'ayant enfreint aucune loi avant tout ce bordel, son alpha a abusé de son pouvoir en l'excluant. Il devra assumer sa part de responsabilité dans ce qui arrive aujourd'hui à ce gamin. J'y veillerai. Je m'accroupie face à lui et essaye d'avoir un contact visuel avant de reprendre.

—     Coopère, plie-toi à ta rééducation et j'envisagerai de t'intégrer dans mon clan.

L'éclat qui apparaît dans ses yeux en entendant mes paroles est touchant. Il reprend vie.

—     Pourquoi tu ferais ça ? demande-t-il dans un sursaut d'énergie.

J'empoigne sa nuque et maintient sa tête bien droite.

—     Tu as vraiment déconné en participant à toute cette mascarade, mais t'as le droit à une seconde chance. Tu as du potentiel et tu es courageux d'avoir osé m'affronter.

—     Te fous pas de moi ? Tu ferais vraiment ça ? M'intégrer à ton clan ?

—     Il va falloir t'accrocher pour gagner ma confiance et celle de ma garde. Ça prendra du temps. A ton tour de montrer ta bonne volonté. Explique-moi comment t'as fait pour te retrouver là.

—     J'étais dans un bar en train de cuver. Un type m'a appelé. Il disait que je pourrais me venger de toi. J'étais au fond du trou et ce mec était sympa. Il comprenait dans quelle merde j'étais.

—     Quand ?

—     Le lendemain de mon exclusion.

Je n'en reviens pas. Ils préparent cette opération depuis plusieurs mois.

—     Il m'a proposé du fric.

—     Combien ?

—     Dix mille dollars ! C'est énorme, non ?! Cinq mille dollars tout de suite à récupérer dans un guichet pas loin et cinq mille après avoir fait le coup. Le mec avait le sens de l'humour. Le mot de passe se limitait à une lettre : X.

Il se fout de ma gueule en plus. C'est pas nouveau.

—     Quand j'ai récupéré le fric, il y avait un paquet. Dedans j'ai trouvé un téléphone, une oreillette et un billet d'avion pour la Californie. Les instructions étaient simples : récupérez un corps et le jeter à l'heure dite. Ce mec était très pointilleux. Je devais m'exécuter à la seconde près, ne pas traîner, me fondre dans la masse des étudiants et surtout éviter d'attirer l'attention. Il m'avait même dit quoi porter comme fringues.

—     Quand es-tu parti en repérage ?

—     Avant-hier. Le matin et une partie de la nuit. Je ne savais pas quand ça devait avoir lieu exactement mais je me doutais que ça n'allait pas tarder, il m'avait prévenu. J'avais qu'à attendre son top.

—     Où as-tu récupéré ton cadavre ? 

—     Dans un bâtiment du campus, où il y a des chambres froides. 

—     Le bâtiment de médecine.

Ils les ont planqués sur le campus. Ingénieux.

—     Quand je suis arrivé, il n'y avait plus que le mien. Je devais être le dernier à venir le chercher comme mon bâtiment n'était pas loin. 

—     Mais tu savais qu'il y aurait plusieurs corps ?

—     Il ne me l'a pas dit mais je m'en doutais avec le nombre de corps déterrés dans le cimetière pas loin et il m'avait parlé de l'effet spectaculaire de sa vengeance.

—     Tu as croisé quelqu'un de l'équipe ? Une fille ?

—     Non, j'étais juste en contact avec ce mec par téléphone. Je l'ai même jamais vu.

Aucun recoupement, aucun contact, aucune fuite possible. Il a articulé chacun de ses pantins au bon moment. Mon adversaire est vraiment très fort.

—     Il ne t'a pas demandé de faire autre chose ? Surveiller quelqu'un ?

—     Non, le mec voulait juste se foutre de ta gueule, te faire descendre de ton piédestal et que ça se voit. J'ai trouvé ça un peu con comme blague, mais c'était beaucoup de fric. En plus si je me débrouillais bien, il me proposerait d'autres boulots.

—     C'est plus qu'une mauvaise blague, Aaron ! Des filles ont été attaquées. Un mec a été tué.

Aaron baisse à nouveau sa tête.

—     Je te crois. Si un détail utile te revient, fais-le moi savoir. Un gardien va venir te chercher demain matin. Tu seras être jugé. J'interviendrais en ta faveur. Ne me déçois pas.

—     Je ne sais pas ce que tu lui as fait, mais il te hait.

La douche froide ne m'a pas calmée. La visite au prisonnier non plus. J'ai l'impression d'être un lion en cage. Je sens son odeur partout. Je me concentre sur son pouls régulier pour redescendre un peu. Elle dort paisiblement. C'est déjà ça. Mais j'ai besoin de la voir. Je vais juste jeter un coup d'œil rapide, vérifier que tout va bien avant d'aller dormir quelques heures dans mon bureau. Je sors de la salle de bain et monte. Quand je l'aperçois emmêlée dans mes draps, les cheveux étalés sur mon oreiller, si sexy dans sa nuisette, je ne suis plus du tout calme.

Entre tes Griffes 1 (Publié Aux Éditions HLab)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant