☾Partie 3/3

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« - Et voilà, c'est terminé ! Tu vois, ce n'était pas sorcier.

- Hum, hum... »

Parle pour toi ! Je crois que je viens d'avoir la pire crampe que je n'ai jamais eue au bras. Pendant une heure, je n'ai fait que remplir, remplir, remplir et encore remplir des dossiers qui disaient tous plus ou moins la même chose. Et pendant que j'étais en train de perdre mon bras droit, madame Rossignol s'était occupée en lisant un magazine de beauté sur : « Comment trouver son propre style ? » Et « comment perdre du poids facilement ? »

A la limite, je lui accorde de lire le deuxième chapitre parce que pour elle, un régime ne lui ferait pas trop de mal...

Enfin bon, maintenant, tout ça était terminé et j'allais enfin pouvoir sortir de cet orphelinat. Après avoir reposé le stylo sur le bureau, madame Rossignol se leva d'un bond et tendit sa main vers moi. Je pris quelques secondes à comprendre que je devais la lui serrer et quand je lui eu enfin tendu la mienne, elle me dit, très sérieusement :

« - Prends bien soin de toi, Jo. J'espère que tu te forgeras une vie qui te plaît. »

Je l'espère aussi...

« - Tu dois être à ton rendez-vous dans exactement 25 minutes et tu dois prendre environ un quart d'heures pour y arriver. Si tu veux dire au revoir à quelqu'un, c'est le moment.

- Non, ça ira, merci.

- Très bien. Et sinon, je voulais te donner ça. Clyde m'a demandé de te le donner quand tu quitterais cet endroit. »

Clyde. J'avais oublié à quel point il avait pu me manquer. Il représentait la seule famille que je n'ai jamais eue. Mon père, ma mère et mes amis à la fois. Malheureusement, cela ne l'a pas empêché de partir explorer le continent européen. Peu sentimentale, je ne m'apitoyai pas sur mon sort et refusai de fondre en larmes ou quoi que ce soit pour lui.

Madame Rossignol me tira à nouveau de mes torpeurs et mon regard se focalisa sur le blouson en cuir noir qu'elle tenait devant moi. C'était son blouson. L'objet le moins flou dans tous mes souvenirs, toujours sur son dos. Je pensais l'avoir oublié, tout comme lui avait oublié mon existence.

Je pris le blouson sans rien dire. Ce geste d'affection de sa part, contrairement à ce que je pensais, ne me fit pas le regretter plus, mais une colère sourde contre lui remonta en moi. Il ne m'avait jamais reparlée, jamais réécris, jamais rappelée. Rien. Il m'avait simplement laissée là, et la seule preuve qu'il m'avait donnée pour prouver qu'il avait existé, qu'à un moment, je comptais beaucoup plus pour lui, c'était son vieux blouson noir.

Les yeux toujours rivés sur cette veste, j'entendis madame Rossignol :

« - Bon, c'est le moment de se dire adieu.

- Alors, euh... adieu.

- Au revoir, Jo. »

Et sans que je n'eus le temps de réagir, madame Rossignol m'étreignit si violemment que je crus qu'elle allait me casser plusieurs côtes, avant de me relâcher. En m'éloignant d'elle, j'eus l'impression qu'une petite larme lui tombait sur la joue, mais je rejetai bien vite cette idée ; madame Rossignol pouvait pleurer pour n'importe qui, mais pas pour moi. Serait-ce peut-être des larmes de joie ? Je n'en savais rien. Entre le nombre de fois où j'étais arrivée en retard, le nombre de fois où j'avais voulu m'évader et le nombre de fois où je lui avais manqué de respect, je la comprendrai...

« - Bon, on ne va pas prendre plusieurs heures pour se faire des adieux. Tu peux partir quand tu veux à partir de maintenant mais le plus tôt serait le mieux.

- Je pense que c'est ce que je vais faire. »

Et sans attendre sa réponse, je sortis de la pièce dans un coup de vent, emportant mes sacs avec moi, et sortis dans le couloir. A ce moment là, toute la curiosité mêlée à l'adrénaline me monta à la tête et je me mis à courir comme une forcenée dans les couloirs, mes pas résonnant sur le plancher poussiéreux. Mes bagages à la main, je faillis tomber plusieurs fois mais je me rattrapai de justesse. Les cheveux devant les yeux, je passai devant les objets, les tableaux, les personnes, les murs et tout le reste, qui avaient tellement peu compté pour moi.

Au bout de quelques minutes, j'arrivai dans le hall vert et délavé et m'arrêtai, hors d'haleine. Je remis tant bien que mal mes cheveux courts derrière mes oreilles et regardai autour de moi. Plusieurs enfants m'observaient avec incompréhension et avaient arrêté leurs occupations. Ils ne devaient pas voir ce genre d'énergumène comme moi tous les jours, à courir dans les couloirs, mais je m'en fichai complètement, je ne faisais plus partie de l'orphelinat. Et, le sourire aux lèvres, je continuai mon chemin jusqu'au jardin, haletante sous le poids des bagages.

Je dépassai un à un les buissons et les arbres sans feuille et tapai dans la neige encore molle. Ma veste était ouverte, le froid me brûlait la gorge et mon nez commençait à refroidir, ainsi que la jointure de mes doigts. Mais pour moi, ce froid n'était autre qu'un signe de bienvenue dans ce nouveau monde, qui m'était à présent ouvert.

Après avoir dépassé le portail, un seul mot me vint à la tête : libre. Oui, j'étais enfin libre. Plus de règle, plus d'ordre, plus de remontrance, plus rien !

Je le sentais enfin. Ce parfum de liberté, qui me montait à la tête comme une drogue. J'entendais au loin les cris des enfants encore à l'orphelinat. Mais bizarrement, j'avais l'impression que je quittais un endroit qui m'était tout de même très cher.

Alors, je pris pour la dernière fois le temps de regarder ce bâtiment. Le bâtiment de mon enfance, le bâtiment de mes peurs, mais surtout le bâtiment de mes souvenirs. Cet orphelinat m'avait aidé à devenir ce que j'étais enfin, et je le quittais pourtant si rapidement, après ces longues années.

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Une petite larmichette pour Jo, qui vient de quitter son seul lieu de vie... Amen 😢😂

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