☾Partie 1/3

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Agglutinés dans une pièce minuscule, la tension montait, ma température corporelle aussi. La sueur me dégoulinait le long du dos, les regards échangés se faisaient brefs, plus personne n'osait prononcer le moindre mot. Nous attendions tous avec attention l'appel de notre prénom par les hauts parleurs placés aux quatre coins de la salle.

Les noms commencèrent à défiler, avec le nombre de la porte derrière laquelle chacun devait se placer. En début d'alphabet, mon tour ne tarda pas, et je rejoignis la porte 7, derrière les premiers déjà placés. Ariane et Callie furent ensuite appelées, toutes deux derrière une porte différente de la mienne. Arrivés à la fin de l'appel, les hauts parleurs s'éteignirent et les portes des salles encore inconnues s'ouvrirent. En rang, nous entrâmes pour enfin connaître notre nouvelle identité.

A partir de notre rang se formèrent trois rangées, qui se placèrent automatiquement devant des sièges d'hôpitaux, à côté desquels avait été disposé le matériel nécessaire à nos tatouages. Dans le cours de vie commune précédent, notre "professeur/hologramme" nous avait expliqué tout le déroulement du tatouage. Pour n'être au courant qu'au dernier moment de notre marque, nous étions sous anesthésie, qui permettait au tatoueur de dessiner l'animal, sans que le tatoué ne l'en dissuade ou ne devienne agressif en devinant les premiers traits. Un tatouage entier prenait environ trente minutes par personne, et le tatoué se réveillait cinq minutes après. Sur Terre, un tatouage de trente minutes reviendrait à un simple trait. Sur Vivia, leur matériel est trois fois plus performant.

Bien sûr, le cours ne s'était pas seulement résumé à cela, mais au lieu d'essayer de me rappeler le reste des règles, mon esprit se mit à calculer le temps d'attente qu'il me restait avant mon tour. Une façon pour moi de décompresser en pensant à autre chose... A la fin de mes calculs, j'en arrivai à une heure et trente minutes. Un long moment où j'allais devoir attendre mon tour, aussi nerveuse qu'un lion en cage.

"- Beveridge, c'est à vous !"

Tout comme les robots que j'avais vus en arrivant pour la première fois ici, je me couchai sur le lit sans réfléchir, sans état d'âme, ne ressentant plus rien. Le jeune homme qui s'occupait de moi ne perdit pas de temps avec les consignes et tout le reste. Il m'endormit en disant que ça ne serait pas douloureux. Le masque à anesthésie sur le visage, je fermai les yeux, adressant une prière silencieuse à qui voulait bien l'entendre pour ne pas être tatouée d'un aigle.

Pendant ces trois quarts d'heure, j'avais eu l'occasion de voir une dizaine de personnes se réveiller et observer leur nouveau tatouage. Tous étaient bouleversés, mais pas seulement positivement... Les larmes avaient coulé, les cris avaient résonné. Maintenant que c'était à moi, je n'étais plus sûre de rien. Personne ne nous avait dit que notre marque changerait quelque chose à notre entraînement ou à notre entourage, mais à quoi serviraient ces marques si ce n'était pour éliminer ceux qui ne servaient pas ?

Avec Ariane, nous avions remarqué que des arrivants, il y en avait beaucoup. Beaucoup trop par rapport aux personnes déjà confirmées que nous avions observées plusieurs fois. Ils étaient environ cinquante, nous en étions le double. Pour moi, une seule chose était possible, ils prendraient les meilleurs, mais pas besoin de faire passer tout le monde à l'entraînement pour évaluer leurs capacités. Un tatouage sur l'épaule en disait déjà assez et le tout allait plus vite.

Ariane quant à elle, toujours plus inventive, misait sur le fait qu'ils enverraient les maillons faibles en chair à canon pour l'ennemi. Plus compliqué à imaginer, mais toujours plausible...

Mais après tout ça, une question me torturait encore l'esprit: qui nous attribuait ces tatouages et comment faisaient-ils ? Le tirage au sort dans un chapeau n'était sûrement pas la réponse.

***

"- Hé, c'est terminé, tu peux te relever."

Encore dans les vapes, mes yeux mi-clos croisèrent ceux du tatoueur. Un regard las qui en disait déjà long sur lui.

"- Ton tatouage est fait, tu peux te relever et sortir par cette porte."

De son doigt fin, il me désigna une entrée placée dans l'ombre, où je ne l'avais pas remarquée. Ma tête tournait encore, mais devant l'air ennuyé du jeune homme, je compris qu'il fallait accélérer la cadence. En zigzagant difficilement jusqu'à la porte, je me retrouvai bien vite de l'autre côté, accompagnée du brouhaha alentours.

"- Alors, quelle marque ?"

"- T'as pas trop stressé ?"

"- J'espère que tu n'es pas un rat..."

"- Dis-nous !"

Les questions affluaient, et je me tournai vers le miroir pour soulever le pansement fébrilement. Ce geste ne dura qu'une fraction de seconde, mais je restai immobile pendant ce qu'il me parut une éternité. Les traits noirs se dessinaient devant mes yeux, de plus en plus floutés par les larmes qui se logèrent devant. Mes mains commencèrent à trembler et la manche retomba le long de mon bras. Je ne la soulevai pas, au contraire. Je la rabattis le plus possible en un geste hargneux, défiant les personnes devant moi du regard.

Tout le monde regardait, écoutait, observait. Plus aucun bruit ne se répercutait sur les murs, toutes les bouches béates étaient rivées sur moi. Tout le monde avait vu, tout le monde savait, tout le monde le répèterait.

Ma peur qui était d'avoir l'aigle avait été remplacée par la déception de n'avoir qu'un rongeur tatoué sur l'épaule

***

Dans la vie, chaque être humain se croit être une exception. Ce n'est ni narcissique, ni égocentrique; c'est naturel. Nous nous croyons tous essentiels, notre avenir se résume parfait dans nos rêves. La maladie ne pourra pas nous atteindre, la vieillesse non plus. La mort, n'en parlons même pas, elle ne viendra jamais nous chercher. Mais quand tout nous tombe dessus d'un coup, nous réalisons que tout n'était qu'illusions, un très beau mensonge enjolivant une cruelle vérité.

Un décès chaque mois et le cap des quatre-vingt ans passé, vous vous rendez compte que finalement, vous ne serez pas l'exception. Pas dans ce monde, en tout cas. Car quand on se rend compte que notre vie n'est pas digne d'un rêve, on s'accroche à l'espoir qu'il y en aura une nouvelle pour se rattraper, pour ne pas faire les mêmes erreurs, pour ne pas nous laisser croire que pour nous, ça sera différent.

Cette vérité peut nous arriver en pleine tête à n'importe quel moment. Certains très jeunes, d'autres à l'âge adulte. Peu importe, elle viendra toujours. Sans prévenir, telle une balle perdue. Elle viendra se loger profondément dans ton crâne, et te feras enfin voir la laideur du monde.

Quand tu te rends compte que tu n'es pas l'exception, ni la perfection, et que ta vie n'est pas aussi belle que tu le pensais, tu fais avec jusqu'au bout, en prenant conscience que tu n'étais qu'une personne parmi tant d'autres.

Ce rat était la balle perdue qui frappa mon corps de plein fouet.

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Petit récit psychologique fait par moi-même 😂

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Sur une autre planèteOnde histórias criam vida. Descubra agora