CHAPITRE 10 - Reprendre où tout s'est arrêté

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Point de vue de Seira

L'homme, le plus calmement du monde, s'avança vers nous, empruntant le pont. La poussière résultant de la destruction de la porte se souleva à son passage, traînée par sa cape couleur encre. Il donnait l'impression que le temps s'était arrêté. Son masque ne laissait rien voir de son visage, mais la quiétude glaciale dont il faisait preuve m'effraya davantage que s'il avait été déchaîné. Ma peau se para de chair de poule ; soudainement, je me mis à avoir froid, comme s'il avait aspiré tout le bonheur, toute la chaleur de la pièce.

La tension présente dans l'air prenait toute la place, nous empêchait de respirer, nous laissait pétrifiés. Les seuls qui paraissaient encore maîtriser leurs émotions étaient Meryl et Elyon. Isira ne parvenait plus à dissimuler son angoisse, la terreur débordant de ses prunelles comme un flot intarissable. Elle craignait pour nos vies, d'une intensité égale à celle qu'elle portait à celle de sa fille. Celle-ci, tendue comme un arc à deux centimètres de moi, ne quittait pas des yeux l'ennemi. Je lui pris la main, comme saisie d'un mauvais pressentiment. Elle sursauta à mon contact, puis accueillit l'étreinte en tremblant. Sa peur, qu'elle tentait pourtant de dissimuler sur ses traits, explosa dans ma poitrine, volcan en pleine éruption. Notre lien n'avait jamais été aussi solide, aussi présent.

Je ne parvins pas à comprendre au bout de combien de temps Archaos prit la parole. Tout ce dont j'étais sûre, c'est que ces premiers mots marquèrent le début de mon cauchemar, tout en me réveillant comme si l'on m'avait administré la plus puissante des claques.

— Tu sais ce que je cherche. Tu l'as compris récemment, d'ailleurs, formula-t-il d'une voix grave, s'adressant à Isira.

— Tu n'auras rien, frémit la concernée.

— Elle, en échange de la vie de ta fille et de tous ceux que tu protèges.

Je sentis ses deux yeux menaçants se poser sur moi, telles deux billes de malhonnêteté, onyx des enfers. Je m'efforçai de ne pas trembler, et relevai la tête. Devant moi, les ailes d'Elyon s'agitèrent ; ses plumes vibraient, frémissaient, se dressaient les unes sur les autres. Je mis une seconde avant de réaliser qu'il n'avait pas peur. Non, il bouillonnait de colère ! Le feu le consumait, animait chacune de ses cellules de Meridiem.  

— Comment te croire, après tout le mal que tu as fait ? Toutes les personnes que tu as tuées ? rugit la mère de mon amie.

Sa voix se brisa sur le dernier mot. Je me sentis faiblir quand je compris qu'elle pensait à mes parents. Xerys saisit mon trouble immédiatement et sa paume raffermit sa prise.

— Je ne te demande pas de me croire, mais d'obéir. Tu n'as pas le choix, Isira.

On pouvait sentir le sourire démoniaque dissimulé derrière son masque d'ici. Chacun des poils de ma nuque se dressa.

— Comment es-tu entré ? Comment nous as-tu trouvés ? s'enquit soudain Elyon, le regard dur et brisant l'échange.

Archaos parut interloqué une demi-seconde par l'intervention du guerrier ailé, tout comme moi : que ce dernier tutoie le plus grand criminel de notre Histoire me laissa foudroyée. Il n'avait peur de rien, pas même de lui ; mieux, il le dénigrait.

Le meurtrier de ma famille, habité d'une haine croissante, fouilla dans la poche de son large habit noir, puis en sortit un objet brillant. Lorsque je plissai les yeux pour augmenter la portée de ma vision, je distinguais un pendentif de diamant, au bout d'une fine chaîne en argent. Je le reconnus immédiatement, me repassant dans ma tête le souvenir qui m'était revenu plus tôt. L'artefact de ma mère.

— Il est très pratique. Je n'ai même pas eu à demander une autorisation pour entrer.

Sa voix avait pris une intonation mauvaise, presque satanique. Mes mains étaient moites, mes lèvres tremblaient.

La Gardienne des Légendes ✷ Tome I. La Relève [REPENSÉ & RÉÉCRIT]Where stories live. Discover now