CHAPITRE 15 - Si tu savais

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« Si tu savais. »

Que cela pouvait-il dire ? J'avais beau tourner et retourner cette phrase dans tous les sens dans ma tête, je ne parvenais pas à comprendre ce que voulait dire Elyon.

Assise au coin du feu, je tentai en vain de me réchauffer. Grâce à Leven, nous avions pu déguster un succulent morceau de viande grillée — j'avais préféré ne pas me renseigner quant à l'origine de cette viande — qui, il fallait le reconnaître, m'avait fait énormément de bien. Je ne pensais pas avoir aussi faim, et Xerys non plus.

J'observai mon amie, plus loin. Allongée contre Saphir, elle était prise dans une intense conversation avec Leven. Par moment, je l'apercevais esquisser un sourire ou pousser un rire franc. La voir heureuse à nouveau, même si ce n'était que pour quelques instants pouvant sembler dérisoires, me remplissait de joie. Et, rien que pour cela, je commençai à fortement apprécier ce Leven.

Lenora étant partie se coucher depuis longtemps, s'endormant à même le sol — quel surprise ! je ne m'attendais pas à une telle initiative de la part d'une fille pouvant paraître si superficielle – je me suis retrouvée seule. Les gardes étaient dispersés un peu partout autour du camp, et Elyon était introuvable. Il devait sûrement voler entre deux nuages... après la confrontation avec Leven, il avait filé si vite qu'on aurait pu confondre son départ avec une fuite. Mais, n'en était-ce pas une, après tout ? J'aurais aimé lui parler. Je n'avais aucune idée de ce que je comptais lui dire, et je savais déjà que si par miracle j'en avais finalement une, je ne serais pas capable de prononcer un mot. L'emprise qu'il exerçait sur moi commençait à m'angoisser.

Un crépitement du feu un peu plus sonore que les autres me sortit de ma torpeur et je choisis de me lever. J'avais besoin de marcher un petit peu, même si c'était pour traverser de long en large les limites du campement. Avançant un pied devant l'autre, je laissai mes pensées divaguer. Dès que je relâchai la bride, je revis ses yeux bleus, légèrement dissimulés derrière ses beaux cheveux noirs. Je ressentis à nouveau son cœur résonner contre ma peau. Et encore une fois, cette phrase. Cette phrase qu'il avait prononcée du bout des lèvres, comme s'il aurait aimé la garder pour lui, mais qu'il avait laissé échapper. « Si tu savais. » Qu'étais-je censée savoir ? Qu'est-ce que Leven avait fait ?

Le bruit si reconnaissable d'ailes battant le vent me fit redresser la tête. Avant même de l'apercevoir, je sentis que c'était lui. Bien que je n'ai pas le pouvoir de voir son aura, j'avais de plus en plus l'impression de la ressentir. Elyon.

Je n'eus qu'à tourner la tête de côté pour que mes yeux rencontrent immédiatement les siens, s'assemblant comme des aimants. Je m'attendis à ce qu'il m'incendiât, comme il le faisait souvent ; il aurait grondé, me demandant pourquoi j'étais seule dans le noir au lieu d'être auprès du feu surveillée par les gardes. Mais, à la place, il resta silencieux. Il se contenta de m'observer, fouillant dans mes yeux. Sous son regard, je me sentis m'embraser alors que, pas une seconde avant, je grelottais.

— Il faut qu'on parle, réussis-je à articuler, puisant dans une force dont je n'avais même pas conscience.

Il fit un pas vers moi, puis un autre, réduisant considérablement la distance entre nous. Ses yeux ne me quittaient plus, et il y brillait une lueur indescriptible dont la profondeur et l'intensité me coupa le souffle. Nous étions comme hypnotisés l'un par l'autre, envoyés contre notre gré dans une dimension parallèle. Sans réfléchir, je me mis à marcher vers lui. Mes jambes étaient flageolantes, mon cœur prêt à me lâcher.

Bientôt, il ne manqua plus qu'une petite dizaine de centimètres avant que nous puissions nous toucher. Je ne savais pas ce que je faisais, j'avais la sensation de me laisser totalement porter, de perdre le contrôle sur ma volonté. Sa main se glissa délicatement dans mon cou. Je sentis tout mon épiderme réagir à ce contact, mais ne reculai pas. Mon poignet s'échauffa, et, quand il pencha sa tête dans ma direction, un feu brûlant naquît en moi pour me consumer toute entière. Mon cœur s'emballa à en perdre la raison, et lorsque ses lèvres frôlèrent les miennes, je crus que le temps s'était arrêté. Le monde autour de moi perdit toute rationalité ; le paysage qui nous entourait s'était fait abstrait. Les battements de mon cœur, dans ma poitrine vibrante, explosèrent. Ce fut comme une immense bombe d'émotion qui implosa d'un coup, laissant aller une infinité de sentiments et de sensations, qui se percutèrent entre eux dans un désordre titanesque. Mon corps entier fut traversé d'un frisson, et ce fut comme si je me retrouvais enrôlée dans une tempête que je n'étais pas en moyen d'arrêter. Ses lèvres étaient douces, hésitantes, méfiantes, craignant de s'aventurer dans un terrain dangereux. Trop pétrifiée pour réagir d'une quelconque manière, je mis une seconde à réaliser ce qu'il était en train de se passer.

La Gardienne des Légendes ✷ Tome I. La Relève [REPENSÉ & RÉÉCRIT]Where stories live. Discover now