CHAPITRE 26 - Amiliation

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Il y avait eu un long moment de flottement ; tout sonnait étouffé, rien ne me parvenait de façon claire. Garder mes yeux ouverts devenait un réel combat. Puis, fulgurante, inattendue, la douleur monta en flèche. Elle était plus meurtrière et cruelle que jamais ; j'avais la véritable sensation de me faire brûler vive. Elle se mouvait à l'intérieur de moi, partant des extrémités de mon corps — les orteils, les doigts — pour se déplacer à une vitesse alarmante vers ma poitrine. La panique naquit en moi, suivie de cette sensation d'impuissance insoutenable. Elle se dirigeait vers mon cœur ! La Légende de Vie m'avait intimé de ne pas avoir peur, elle me protégeait. Mais, allais-je être capable de résister à une telle concentration de venin à un endroit si fragile et essentiel à ma survie ?

Cela devint un véritable supplice ; on m'enfonçait un poignard chauffé à blanc dans la poitrine, je ne le voyais pas autrement. Ou... ou alors, on l'en retirait ? Je sentis quelque chose d'opaque s'extirper de mon torse, avec insistance. Je voulus hurler, mais pas un bruit ne s'échappa de ma bouche. Puis, plus rien. Les flammes s'éteignirent d'un seul coup, le poignard n'existait plus. Je ne souffrais plus. Je pris soudain conscience du sang qui coulait librement dans mes veines, de mes muscles qui reprenaient vie. Je peinais à y croire. J'étais... j'étais guérie.

Quelque chose effleura ma joue, tendrement. Une vague de sensation passa au travers de tout mon être, et mes paupières en frémirent. Et, cette fois, lorsque je voulus ouvrir les yeux, je le fis sans rencontrer aucune résistance, sans ressentir une quelconque souffrance. Ma vision se posa immédiatement sur deux visages, encore légèrement floue ; mais elle s'adapta très vite et je distinguai les fins traits de Xerys et le teint mat de Lenora. Un large sourire étirait leurs deux lèvres et un scintillement joyeux emplit leur pupille quand elles me virent me réveiller.

Je tentais de me redresser, prenant appui sur mes coudes. Par habitude, mon corps se prépara à encaisser la douleur qui allait tirailler mes muscles, mais il ne se passa rien et je me retrouvai assise sans un effort. Mon cœur bondit de joie ; Lenora, qui s'était disposée à me soutenir par le bras, retira sa main et un rictus ravi se dessina au creux de ses lèvres.

— Comment tu te sens ? s'enquit la jeune Princesse.

— Étrangement et agréablement bien. Je n'ai plus mal du tout !

Xerys me prit dans ses bras, me serrant aussi fort qu'elle le put. Je répondis à son étreinte avec plaisir, appréciant cette odeur de pin qui avait fini par embaumer ses cheveux.

— Je rêve de pouvoir faire ça depuis plus d'une semaine, me confie-t-elle d'un ton facétieux.

Je souris, émue. Qu'est-ce que c'était bon de les retrouver ! De se sentir en vie, de pouvoir à nouveau ressentir les choses sans se demander si tout était dans la tête. Je mesurai alors à quel point j'avais frôlé la mort, à quel point j'étais presque devenue plus morte que vivante... Comment avais-je pu oublier à quel point vivre était extraordinaire ?

Xerys se détacha, presque à contrecœur, et les deux filles se reculèrent pour me laisser me relever complètement. Mes muscles — ceux de mes jambes en particulier — étaient tout ankylosés, même si capables de me porter. La tenue de lin grise qui me servait de vêtement était toute sale et froissée, et je l'époussetai pour espérer la rafraîchir un peu. Puis, je redressai la tête, et ma vue engloba tout l'endroit dans lequel je me situais.

Indirectement, j'avais réalisé que je devais me trouver chez les Lumières : quelques images du trajet et de la façade extérieure de la Ruche subsistaient dans ma mémoire, et les créatures étaient apparemment les seules à pouvoir me débarrasser de ce venin. Alors, même si je sursautai un peu au premier coup d'œil, impressionnée par ces colosses blancs qui me fixaient avec curiosité, je ne fus pas étonnée. Je ne pus qu'avouer à quel point les dragons étaient magnifiques, d'une beauté pure, sensible et véritable ; les Ombres l'étaient aussi quelque part, mais leur splendeur était plus agressive, plus... effrayante. Je m'attardais sur les trois créatures qui m'étaient les plus proches : deux Lumières d'un doux crème à la limite du blanc, encadrant avec supériorité le troisième dragon. Ce dernier paraissait jeune, mais pas pour autant inexpérimenté. Ses écailles étaient d'un blanc presque fluorescent, et quelques minuscules régions de sa cuirasse viraient tout doucement au beige des adultes. Sa tête était à la fois délicate et solide, une élégante collerette entourant sa large encolure. Deux fines cornes dorées commençaient à pointer, de part et d'autre de la fameuse pierre d'un jaune discret qui ressemblait à s'en méprendre à une citrine. Ses yeux en reprenaient la couleur, parfaitement assortis. De longues ailes émergeaient de son dos, faites à la fois d'écailles et de plumes, rappelant que cet animal pouvait vivre dans les airs comme dans l'eau. La lumière se posait avec perfection sur son corps, comme si celui-ci avait été fait pour la recevoir ; elle faisait apparaître le reflet or qui se baladait à sa guise sur le plumage délicat. Quel être magnifique, pensai-je immédiatement.

La Gardienne des Légendes ✷ Tome I. La Relève [REPENSÉ & RÉÉCRIT]Where stories live. Discover now