Chapitre 28 : Farah

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C'était fou comme on ne se rendait pas compte à quel point notre vie ne tenait qu'à un fil. Chacun de nous pouvait disparaître à tout moment. Tout ce que l'on avait construit pouvait être balayé d'un coup de vent. Et pourtant, on continuait à se prendre la tête pour des broutilles, alors que chaque seconde menaçait d'être la dernière.

Farah sirotait un mojito sur une chaise. Il y avait une grosse soirée chez une amie à Lili où tout le monde était à peu près invité. Farah essayait d'être dans le mood, vraiment. Mais elle n'y arrivait pas, putain. Elle n'y arrivait plus.

Elle avait l'impression que quelque chose clochait chez elle. Elle n'arrivait plus à apprécier la vie. Elle se sentait terriblement vide, seule, même quand elle était entourée. Elle n'aimait plus les petits plaisirs de la vie, elle avait cet horrible sentiment constant qui lui manquait quelque chose. Ce n'était pas qu'un mal psychologique, c'était un mal qui devenait physique. Elle avait le coeur serré, elle avait mal au cœur.

Léo la rejoignit et passa son bras autour de Farah. Cela eut le don de rallumer une petite étincelle en elle. Farah était tombée si bas qu'elle n'arrivait désormais plus qu'à se raccrocher désespérément à Léo comme s'il était sa putain de bouée de secours.

"Ça va ? cria Léo pour qu'elle l'entende malgré la musique.
- Oui, mentit Farah."

Bien sûr que non, ça n'allait pas, putain. Farah espérait qu'il s'en rende compte et qu'il soit présent pour elle. Mais Léo ne faisait attention qu'à sa petite personne, alors il s'écria :

"Cool ! Viens avec nous, on est à la piscine.
- J'ai pas envie, répondit simplement Farah."

Mais Léo était déjà parti sans même l'avoir écouté. Farah sentit que son coeur menaçait d'imploser. C'était la goutte de trop. Elle avait essayé de contacter tous ses amis durant la semaine pour leur parler de son mal-être, mais personne ne l'avait écouté. Farah en avait conclu qu'elle était seulement leur amie pour faire la folle en soirée. Mais si elle n'arrivait plus à faire la folle en soirée, qui lui restait-il ? Pire encore, que lui restait-il ?

La crise existentielle. Une expression que les ados aimaient bien utiliser pour se plaindre dès qu'ils avaient un petit problème. Mais c'était bien pire que ça, Farah le savait maintenant. Elle l'avait dans la peau. La crise existentielle, ou le sentiment de ne plus savoir qui on est, le sentiment de ne plus savoir ce que l'on veut, le sentiment de ne plus trouvé sa place dans son existence, ou le sentiment de ne plus avoir de sentiment.

Farah sentit soudain que ses pensées étaient trop douloureuses. Elle avait mal à la tête, et ce n'était pas à cause de tous les verres qu'elle avait enchaînés. Elle avait mal à la tête à cause d'elle-même.

Elle se sentait dépassée, comme une poussière au milieu d'une tornade de sable qui ne suivait plus le mouvement. Tout allait trop vite autour d'elle. Les rires, les pleurs, les danses. Tout était trop intense, trop réel, trop vivant.

Farah avait besoin de quelqu'un, là, maintenant, tout de suite. Non, elle n'avait pas besoin de quelqu'un, elle avait besoin de Léo. Elle avait besoin de le sentir près d'elle. C'était tout ce à quoi elle pouvait se raccrocher, désormais.

Farah se leva d'un pas incertain et se dirigea vers la piscine.

Sur son chemin, elle croisa des gens qui dansaient et riaient.

Sur son chemin, elle croisa des gens qui fumaient et parlaient.

Sur son chemin, elle croisa des gens qui buvaient se baignaient.

Des gens vivants et qui vivaient.

Et puis elle vit Léo.

Farah laissa tomber son verre. Il ne s'éclata pas au sol et elle ne sentit pas de liquide couler sur elle. Mais elle ne sentit rien du tout. Pas de coeur qui se brisait, pas de larmes qui coulait, pas de déception qui lui serrait le coeur. Elle eut juste l'impression de lâcher sa bouée et de tomber dans le vide.

Léo ne la vit même pas. Il continuait d'embrasser la fille.

Farah s'en alla.

Elle sortit de la maison. C'était trop, beaucoup trop. Elle lâchait la bouée. Autour d'elle, tout le monde était heureux. Pourquoi n'était-elle pas comme eux ? Pourquoi avait-elle l'impression que son âme était morte ?

Elle ne prit pas de manteau et sortit en robe dehors, en plein hiver. Elle refusait de réfléchir. Elle marchait droit devant elle sans même savoir où elle allait. C'était bien la dernière de ses préoccupations. Elle voulait juste disparaître, fuir, loin des autres et loin d'elle-même.

L'air froid de la nuit commençait à la faire grelotter mais elle refusait de faire demi-tour. Il fallait qu'elle continue.

Les gens disaient qu'on avait un pressentiment. Qu'une petite voix nous chuchotait que c'était la fin. Qu'on voyait notre vie défiler. Qu'au moment de mourir, on revoyait toutes les images de notre vie, nos réussites, nos échecs, et que l'espace d'une dernière seconde, on revivait. Farah ne sentit rien de tout ça. Elle ne ressentit rien du tout.

Une voiture la percuta.

Le ciel était bleuWhere stories live. Discover now