Chapitre V

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*Tout le monde a menti*

Ce qui est remonté ne disparaît jamais vraiment. C'était ce que Tony avait compris. Après ce fameux soir où il avait explosé le vide, il ressentait parfois une immense tristesse. Il faisait quelque fois des crises d'angoisses, des insomnies, des pleurs incontrôlés.

Quand il buvait trop certains soirs, Ode le laissait. Quand il s'enfermait dans sa chambre, elle le laissait. Elle attendait que la nuit passe, que la porte s'ouvre. Elle savait que les choses ne s'arrangent pas en un clin d'oeil, et ça ne servait à rien de précipiter les choses. Tant que la porte s'ouvrait.

Mais il y avait plus. Il réapprennait à rire sincèrement, à être vraiment là, à être conscient de ce qu'il se passait. Il y avait Ode et sa douceur, son humour, sa curiosité, ses envies. Elle venait souvent le voir avec un sourire en lui proposait de sortir :

- Et si on allait faire un saut en parachute ?

Puis :

- On pourrait aller voir la mer ?

Tony n'était pas toujours partant, engourdie par la tristesse. Mais à chaque fois il se souvenait des paroles d'Ode et il savait qu'il fallait prendre la main qu'elle lui tendait.

À travers ses yeux émerveillés, sa bouche souriante, il revoyait le monde qu'il avait tant ignoré, plongé dans l'obscurité. Il avait oublié que dehors, les gens continuaient à vivre. Et si les choses avaient changé, il s'en contentait.

Quand ils avaient été au large de New York pour voir la mer, Ode avait été un peu différente. Elle avait plongé ses pieds dans l'eau froide et sa tenait droite contre le vent, contre la mer. Les yeux fermés. Tony la regarda, interloqué. Sans bougea d'un iota, elle lui dit :

- Essayez.

Et il essaya. Il ressenti l'eau lui glacer les pieds. Il ferma les yeux. Et il sentit ce qu'elle sentait. Le vent et les bruits des vagues qui s'abattaient avaient quelque chose de profondément troublant. Là, en sentant le vent, en entendant le fracas des vagues, il y avait presque un sentiment de danger. Devant eux, les vagues s'abbataient avec violence. Ça avait une odeur de fin du monde.

Ils avaient l'impression qu'à chaque fois, un ouragan pouvait les emporter. Alors plus que jamais ils avaient conscience de leur corps, de leur sens. Ils avaient l'impression de se dresser droit devant une tempête. Ça surprit Tony qui, comme un réflexe de protection, ouvrit rapidement les yeux pour se rassurer, pour voir que les vagues ne faisaient qu'à peine un mettre, qu'elles s'abattaient loin d'eux, que leur fracas donnait un faux sentiment de danger. Que ce n'était qu'une illusion.

Sans même le regarder et sans se détourner, Ode tendit sa main à Tony, ayant senti qu'il avait pris peur. Il hésita un instant, pris sa main, se remit face à la mer, ferma les yeux, et recommença.

Il découvrit que ce sentiment de danger provoqué par les yeux fermés avait quelque chose d'apaisant. Chaque vague était une tempête qui pouvait les engloutir. Et alors ils n'avaient pas peur d'être emportés. Ils n'avaient pas peur du fracas, de se faire engloutir. Pas parce qu'ils savaient que c'était une illusion, non, parce qu'ils étaient comme ça.

Et c'était comme si l'apocalypse allait s'abattre sur eux à chaque instant.

- C'est comme ça que je me sens parfois, dit-elle.

Tony ouvrit les yeux et vit qu'Ode le regardait. C'était la première fois qu'elle parlait vraiment d'elle, de ce qu'elle ressentait. Il ne répondit pas, il n'y avait rien à dire.

Lui aussi, il se sentait comme ça. Parfois, il sentait que l'apocalypse, la tempête, le pire, allait s'abattre sur lui. Mais ce n'était qu'une illusion, et il fallait ouvrir les yeux pour s'en rendre compte. Il y avait quelque chose de serein à se tenir droit devant la tempête qu'on croit, heroïquement, avec l'impression de pouvoir être englouti à chaque instant, mais en ne l'étant jamais.

 Ode Aux Ascenseurs Onde histórias criam vida. Descubra agora