Chapitre XI

367 29 23
                                    

*La souffrance des oubliés*

Il aurait voulu dire qu'il ne la reconnaissait pas, qu'elle avait enlever son masque. Mais c'était la même Ode. Les yeux plus cernés, le visage un peu hésitant et triste. Elle s'avança et pris le sachet de pilules que lui tendait l'homme avec un sourire avant de le mettre dans sa poche. Elle ne regardait pas Tony mais il avait le visage complètement défait. Il l'appelait du regard mais elle ne répondait pas. Elle lui sembla si loin de lui.

Alors que Tony la regardait désespérément, l'homme murmura dans l'oreil de Tony :

- Alors, qu'est-ce que ça fait de se rendre compte d'à quel point on est seul ?

Il le rabaissait à son niveau. Il voulait le tremper dans la souffrance qu'il connaissait. Mais Tony n'avait d'yeux que pour Ode. Ode qui avait le même visage, c'était elle, elle l'avait toujours été. Il la connaissait mieux que personne, il savait que ce qu'elle avait été avec lui était réel, que c'était vraiment elle. Pas ça.

-Ode, dis-moi qu'il ment.

-Il ne ment pas, il m'a envoyé...

-Je me fiche de ça. Je veux entendre de ta bouche que ce que tu as été avec moi, ce qu'on a traversé, était vrai. Je ne peux pas croire que tu as tout fait dans cet unique but, que c'était du bluff.

Il cherchait le regard d'Ode mais elle gardait sa tête baissée. C'était comme si quelque chose bouyonnait en elle, comme si les mots étaient au bord de ses lèvres. Mais elle les gardait fermés. Ce n'était pas une partie de plaisir pour elle.

-Ode regarde-moi, reprit Tony.

Elle releva violemment la tête vers lui et planta un regard assassin dans ses yeux. Elle allait enfin dire ce qui la faisait bouyonner.

- Tu veux que je te regarde ? Je l'ai toujours fait, mais toi ? Tu ne m'as jamais regardé comme je te regardais, avec lucidité et compréhension. Tu interprètais tes désirs comme les miens, tu entendais des mots avant que je les dises. Tu m'as laissé seule en pleine nuit, dans la rue. Tu m'as emmenée dans mon appartement pour satisfaire ton ego. Tu m'as emmenée à la patinoire sans me demander si je voulais vraiment y aller. Tu penses que tu as fait ça pour moi, mais c'était pour toi, pour que tu puisses passer pour le gentil, avoir bonne conscience. Tu es comme les autres, tu ne penses qu'à toi.

Elle n'avait pas seulement l'air en colère, elle était triste, déçue. Elle lui en voulait. Tony resta bouche bée. Il n'avait pas vu les choses comme ça, mais il comprit qu'elle avait raison. Il avait été aveugle, égoïste, narcissique. Elle avait encaissé. Elle semblait vraiment touchée par ses mots, les levres tremblantes, elle était blessée. Mais si elle était blessée, c' est parce qu'elle tenait énormément à lui, il la savait, peut-être l'aimait-elle.

Il se sentit stupide. Il aurait voulu prendre ses mains dans les siennes et lui dire qu'il était désolé. Mais il était attaché.

- Je suis désolé, Ode, crois-moi. Et je sais que ce n'est pas toi, tout ça. Tu n'es pas ce que ce type veut te faire croire.

- Si, je suis ça, murmura t-elle.

-Non. Je te connais. Mieux que lui. On a traversé la même chose. Toi et moi, on est pareil.

Ode replanta ses yeux dans ceux de Tony comme un éclair foudroyant. Là, elle n'était pas seulement en colère, sa rage intérieure et son désespoir ressortaient.

- Non, on pas traversé la même chose. Il n'y avait de gentille Ode pour me sortir de la misère. Il n'y avait personne. Personne. Je ne vivais pas dans une tour d'argent, moi. Les hommes et les femmes brisés qui m'ont touchés, ils en avaient rien à faire de moi. Tu crois qu'ils pensent à moi quand ils vivent leur vie jour après jour ? Non. J'ai vécu dans l'oubli, la misère, je n'avais rien pour noyer mon chagrin. Rien ni personne pour m'aider. Je n'étais rien pour personne. Un déchet. Tu n'as aucune, idée de ce que c'est de perdre un enfant et de devenir toxico. Ce n'est pas vrai, ce qu'on dit. Il y a des choses qu'aucun humain ne peut traverser sans s'effondrer, aucun. On ne peut pas guérir de tout.

 Ode Aux Ascenseurs Where stories live. Discover now