III

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Je ne peux pas dormir. 

Il est trois heures du matin, la pluie s'écrase contre la baie vitrée de ma chambre alors que des éclairs zèbrent le ciel. Les grondements du tonnerre rivalisent avec la fête qui bat son plein dans l'appartement d'en-dessous. 

Quelle menteuse je fais... Sérieusement, le bruit et le mauvais temps ne changent rien au fait que chaque nuit, c'est la même chose. Je suis encore et toujours éveillée cette nuit, et je sais que demain, et après-demain, et les jours suivant, ce sera pareil. La boîte de somnifères posée sur ma commode me fait de l'oeil, m'appelle d'une voix douce et reposante. 

Mon esprit erre, je pense à ce qui s'est passé il y a cinq ans, ou une autre chose qui s'est passé il y a deux heures, ou encore quelques chose qui s'est produit il y a dix ans de cela. Mon esprit se transforme en tornade, aux vents aussi forts que ceux qui font rage à l'extérieur. Je suis une épave, remplie de magnifiques mais quand bien même affreuses pensées. 

Il est cinq heures du matin, et mon esprit erre toujours. 

J'abandonne finalement et jette d'un geste rageur ma couverture sur le sol tiède recouvert de moquette. J'avale les comprimés avec un grand verre d'eau et pousse un soupir de soulagement. Le silence va enfin arriver. J'envie ceux qui peuvent s'endormir n'importe où, n'importe quand. C'est comme si mon esprit se mettait à penser spécialement au moment de s'endormir. Comme s'il avait autre chose à faire pendant la journée. Le matin, je suis fatiguée. L'après-midi, je ne demande qu'une seule chose: une sieste. Mais lorsque la nuit tombe, rien à faire, je ne peux pas dormir.

Je me laisse glisser au sol, les genoux entourés de mes bras tremblants de fatigue, sans aucune force, face à ma baie vitrée recouverte de nombreuses gouttes.

La pluie est magnifique, et le grondement sourd de l'orage me sert de berceuse alors que mes paupières tombent petit à petit. J'aurai été lâche cette nuit encore. J'aurai encore cédé à la tentation des cachets multicolores. Encore une fois. 

Mais j'ai enfin la paix. 

***

- Vous avez une mine affreuse.

Ce sont les premiers mots que j'entends lorsque je débarque encore à moitié endormie au travail. Jimin m'adresse néanmoins un regard d'excuse hypocrite, comme pour se faire pardonner de ses paroles. 

- Bonjour! Moi, ça va, merci de vous en préoccuper. Et vous? 

- Ca va déjà un peu mieux que vous... 

Je lui lance un coup d'oeil exaspéré. Il ne va jamais s'arrêter?? 

- Veuillez m'excuser, je ne suis pas payée pour jouer le rôle de baby-sitter. Sur ce, je m'en vais faire mon travail. Cordialement. 

Je tourne les talons et m'en vais vers des terres plus propices au développement de mon être intérieur alors que j'entends l'autre, quelques mètres derrière moi, qui continue sur sa lancée.

- Un café vous ferez du bien! Non parce qu'à ce stade même un mort-vivant a meilleure mine que vous! 

- Je n'arrive pas à dormir, je chuchote pour moi-même. Il y a une semaine, j'ai dit la même chose à ma grand-mère. Elle m'avait dit que lorsque j'avais prononcé ces paroles, toute la tristesse du monde avait l'air de peser sur ma conscience. Je ne l'avais pas cru, mais là, je le ressens. 

Pourquoi je ne peux pas dormir comme tout le monde? Pourquoi j'ai l'impression que tous les soirs c'est la réunion de crise de tous les chefs d'etat dans mon esprit? 

"Parce que ta soeur est morte", ça n'a rien à voir. Je suis forte.

"Et c'est de ta faute", voilà, on est déjà un peu plus proche de la vérité...

Le grésillement de mon talkie-walkie m'arrache un sursaut alors qu'une voix me parvient sur une des stations.

- Campbell plus unité Alpha réunion salle contrôle.

Je relève à peine les yeux de l'appareil que l'unité passe au petit trot en rang deux par deux à côté de moi. 

- On allume les gazs le mort-vivant! me crie le gars minuscule. 

J'ouvre ma bouche pour protester mais la referme aussitôt. Il n'est pas question de créer une dispute avant une possible mission. Je suis donc le petit groupe jusqu'à la salle de contrôle où des centaines d'ordinateurs sont alignés sur les murs et les bureaux. Les informaticiens, agents, ingénieurs et j'en passe marchent et parlent dans tous les sens avec empressement. Que se passe t-il encore?

J'aperçois au centre de la pièce un Monsieur Wilson aux cernes marqués et aux rides fatiguées qui fixe avec concentration l'un des nombreux écrans. Je m'approche de lui, la crainte me noue l'estomac mais je ne laisse rien paraître. Tout plutôt que montrer ne serait-ce qu'une seule faiblesse. 

- Ecoutez ça, Campbell. 

Il fait signe à un agent assit sur une chaise, face à un écran d'ordinateur. Ce dernier appuie sur une touche alors qu'un soudain silence s'impose dans la pièce, guettant ma réaction. 

- "Ici Robert Lee, agent du FBI, attaque terroriste près du Pentagone quatre mars Al-Qaeda"

 D'ici deux jours. 

- Campbell je... faites de votre mieux.

Monsieur Wilson pose sa main sur mon épaule, comme s'il savait déjà que je n'allais pas réussir et qu'il devait s'y résoudre. Est-ce parce que lui non plus ne voit pas grand chose à faire de cette information? C'est vrai, on ne sait pas comment ils vont attaquer, ni le nombre de terroristes. Absolument rien. A part que tout ce désordre sera engrangé dans deux jours seulement. 

Essayons de réfléchir calmement. 

J'ai l'unité Alpha à ma disposition, ainsi que la police et des agents. Je devrais pouvoir m'en sortir. Il suffit de trouver comment les mettre à profit. 

- Il faudrait mettre un système de sécurité pointue pour tous les touristes qui s'approchent de trop près du Pentagone. Et aussi... poster tous les agents de police et militaires que nous pouvons autour de l'enceinte. Il faudra aussi surveiller toutes les discussions susceptibles de révéler des informations. Arrêtez tous les véhicules suspects. Et je tiens à rappeler quelque chose. Tout le monde est suspect. Ce n'est pas parce qu'on est catholique et blanc qu'on est sain d'esprit, je me suis bien faite comprendre? je sonde du regard les vieillards dans la pièce qui détourne les yeux de honte. Et je ne veux aucune violence, aucun blessé, et surtout aucun meurtre... compris? Veuillez communiquer cela aux agents, merci. 

Jimin s'approche de moi, suivit de près par le reste de son unité. Il pose deux doigts sur sa tempe, une main dans le creux de son dos et plonge son regard dans le mien.

- Nous ferons de notre mieux pour protéger la nation! Nous sommes à vos ordres. Tous sacrifices est utile lorsque le pays est menacé !
- Je ne demande aucun sacrifice, je fais en esquissant un petit sourire narquois. Allez plutôt vous chercher un café, vous en aurez besoin.

C'est à son tour de sourire, alors que lui comme moi savons très bien qu'il n'a pas le droit.

Pinky Promise -J.PKWhere stories live. Discover now