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L'attaque n'a pas eu lieu, mais il est inutile de dire que nous continuons de surveiller tous les allers-venus. On est jamais trop prudents.
Mes yeux se ferment devant l'écran de mon ordinateur. C'est ce que je déteste le plus avec mes insomnies, le fait de pouvoir dormir partout et n'importe quand sauf dans mon lit et une fois la nuit tombée. Quoi de plus logique?
Quand je dis que je  lutte contre le sommeil, ce n'est pas une exagération, je  suis vraiment en train de m'imaginer, des gants de boxe enfilés sur mes mains, enchaînant les coups contre le sommeil personnifié. Dans mon esprit, le sommeil prend une forme d'homme fluet, mais rapide. Insaisissable. Tout en traits fins et muscles secs, dessinés.
Je suis prise d'un sursaut violent lorsque la porte de mon bureau s'ouvre à la volée, dévoilant l'Asiatique blond, un sourire narquois sur ses lèvres.  

- Alors comme ça on s'endort?

Je lève les yeux au ciel en soupirant. Hors de question que j'admette une chose pareille. 

- Absolument pas. 

Il n'a pas l'air très convaincu, mais laisse couler. Cet homme n'a pas l'air très prise de tête, ce qui est assez rare. Mais j'aime bien. 

- Ça vous dit un café? 

Ça ne serait pas de refus, mais j'ai du travail. 

- Non, merci. Mais c'est gentil de proposer.

Il s'approche, délaissant l'encadrement de la porte. Il passe sa petite main dans ses cheveux blonds, l'air de réfléchir activement. Au final, il se met derrière moi, approche sa main de l'écran, et éteint tout. Je lui lance un regard outré, persuadée qu'il a tout effacé. 

- Me regardez pas comme ça.

Je croise les bras, furieuse. 

- C'est pour votre bien.

Mes yeux se détournent des siens et viennent fusiller le parquet noir. 

- C'est un peu mon job. Prendre soin de la population et la protéger. 

- Vous me protéger de quoi là, exactement ?

- De vous-même. Allez, c'est juste un café. Je vous l'offre. 

C'est vrai qu'un café ne ferait pas de mal... 

- Soit. Mais rapide alors. 

Un grand sourire illumine son visage. Il dépose ses mains sur le dossier de mon fauteuil et le fait tourner pour que je puisse en sortir. Le blond est tout en joie et euphorie d'avoir réussi son coup, et   inconsciemment, je souris. Je me lève tranquillement alors que lui est déjà en train de m'attendre avec impatience dans le couloir.
Alors que je pensais que nous allions simplement chercher un café à un des distributeurs du bâtiment, Jimin s'en va vers la sortie du Bureau et dépasse les détecteurs de métaux.
Je pousse un profond soupir. Il va falloir marcher. Traverser la rue. Crosier des gens. En saluer et parler avec d'autres. Un frisson d'effroi me parcourt la colonne vertébrale.
Quoi de plus effrayant que l'autre?
Je traîne des pieds, une face désespérée sur le visage, alors que Jimin saute sur place, m'attendant. Qui suis-je pour gâcher son plaisir?
Lorsque je le rejoins, il se positionne derrière moi et me pousse, ses deux mains dans la courbe de mon dos. Ça fait du bien, cette sensation de ne faire aucun effort. 

- Vous pourriez aller plus vite, non? 

Il est déjà essoufflé, et ça me fait rire. 

- Vous n'êtes pas censé faire partie de la meilleure unité militaire du monde. Comment ça se fait que vous soyez déjà à bout de souffle? 

- Ça fait une semaine que je n'ai pas fait du sport intensif. 

Il voulait faire un concours? Cela doit faire...quoi? 5 ans que je n'ai pas pratiqué d'activité sportive. 

- Vous faîtes quoi comme sport? 

- Plus de la musculation et de la course. C'est ce qu'il faut quand on est militaire, de la force, mais de l'endurance aussi. Il faut plus d'endurance, même. 

- Depuis quand faites vous partie de l'armée ? 

Il s'arrête soudainement et pose ses mains sur ses hanches. Son regard se perd dans l'infini bleu du ciel tandis qu'il réfléchit. 

- Je crois que...

Le blondinet paraît soudain gêné et je n'en comprends pas la raison. 

- Vous ne vous souvenez pas? je tente. 

- C'est pas ça... 

- Sentez-vous libre de parler avec moi, je ne juge personne.

- Comment vous pouvez ne pas juger les gens? C'est dans la nature humaine.

L'espace de quelques instants, il paraît lasse, les yeux mi-clos et les traits fatigués. Comme si la bêtise humaine lui prenait toute son énergie. 

- Et bien... je fais attention à bien choisir mes mots, histoire de ne pas révéler trop de choses sur moi, juger quelqu'un revient à dire qu'on est meilleur que lui. Je ne pense pas être meilleure que tous les gens qui m'entourent. 

- Hm...

Je lui lance un regard interrogateur alors qu'il se caresse pensivement le menton. 

- Nous avons là un problème de confiance en soi. 

Mes yeux se lèvent d'eux-même vers le ciel bleu percé ça et là de nuage. Pour le nombre de fois qu'on m'a dit ça, c'était bien la peine de lui faire part de mon point de vue. 

- Je ne sais toujours pas depuis quand vous êtes militaire, je fais pour changer de sujet. 

- Vous allez me trouver minable. 

Ha! C'est bien la meilleure celle-là.

- Et? 

Il me jette un coup d'oeil, intrigué. 

- Je veux dire... Même si vous êtes minable, il serait peut-être temps de l'accepter, non? Et c'est vous qui me parlez de confiance en soi... Laissez-moi rire. 

Je lui laisse quelques secondes pour intégrer mes paroles, puis me dirige, résignée, vers le café le plus proche.

- J'ai arrêté les études juste après mon bac. Examen que j'ai eu sans mention, bien sûr. Mais avec rattrapage. Pas très glorieux, hein?

Je me stoppe au milieu du trottoir, ses mots me percutant le dos de plein fouet. Je me tourne finalement vers lui, les traits de mon visage assaillie d'une légère tristesse. Alors c'est pour ça qu'il pensait que j'allais le trouver minable? J'ai envie de le prendre dans mes bras et l'enlacer jusqu'à l'étouffer, jusqu'à ce qu'il comprenne que sa personne en vaut la peine et qu'il n'a pas à avoir honte de lui, jusqu'à ce que mes mots s'inscrivent dans sa peau. 

Rapidement, je me ressaisis. Il ne serait pas question de lui laisser penser que je l'apprécie. 

Je n'ai pas d'amis, et ça ne va pas changer aujourd'hui. 

Pinky Promise -J.PKWhere stories live. Discover now